De quel changement s’agit-il ? Celui
qui s’attache à la psychologie, au caractère des personnes.
A l’exception de pathologies invalidantes,
émettons l’hypothèse qu’il soit possible. Une conjecture osée au regard du
niveau de conscience global de l’humanité, et des efforts qu’il convient de
déployer pour maintenir cette transformation dans ce contexte défavorable.
Donc la résistance est forte, et l’on peut
entendre des réflexions abondant dans ce sens : « Ceux-là, ils ne
changeront jamais ! »
Pourquoi cet a priori ? Peut-être
n’ont-ils pas reçu l’information nécessaire à cela : de comprendre qu’il
était possible de changer et comment.
Et qu’est-ce que cela change ? Le
regard que l’on porte sur ces personnes, et c’est beaucoup !
Comment peut-on les aider ? En
décidant de changer nous-mêmes, de réformer notre niveau de conscience. Ainsi,
nous offrons deux opportunités pour l’expression et la diffusion de ce
changement : en apprécier les difficultés, et donc s’abstenir de
juger ; porter simplement ce changement en soi, ne pas l’imposer aux
autres, même pour leur bien, faire simplement confiance et si des demandes,
nées de l’observation, surgissent, les accueillir avec bienveillance et
partager ce que nous vivons au quotidien.
Lorsque l’on envisage un problème, on peut
le situer dans l’espace et dans le temps, il se trouve donc bien localisé.
Mais pour l’essentiel un problème doit
être résolu ou intégré, et passer au tamis de la conscience, c’est la conscientisation
du problème ou la manifestation du paradoxe : la conscience est une, mais
les réactions multiples.
Ecartons les situations extrêmes pour ne
conserver que les tracasseries moyennes, mais qui rassemblent la quasi-totalité
des difficultés à surmonter, et suivons-en la trame, ou comment une situation
se mue en problème.
L’un des premiers ingrédients se dispute
entre la contrariété et l’insatisfaction. Ce sentiment accompagne souvent la
survenue d’une difficulté à laquelle nous sommes confrontés, sa signature
émotionnelle en quelque sorte.
Ce ressenti s’obstine à nous faire
trébucher, à manquer deux étapes indispensables au traitement du
problème : comment le résoudre, ou de quelle façon s’y adapter et vivre
avec. Ne parvenant à satisfaire la condition appropriée, on risque la
claustration psychique ou la fuite éperdue dans des activités d’abord
dérivatives, puis addictives dans la durée.
Ne voulant pas céder au fatalisme,
décision est prise d’emprunter la voie volontariste, celle qui s’atèle à la
difficulté même.
Revenons à la méthodologie initiale,
cerner au plus près les obstacles. Quel que soit le nom qu’on lui donne :
insatisfaction, contrariété, mécontentement, tracas, irritation, cette
affection sature le mental de pensées parasites, laissant peu ou pas de place
pour une réflexion claire et lucide, susceptible de dégager et d’appliquer des
solutions.
Que faire ? Essayer de se recentrer
par différents moyens : attention, respiration consciente, marche,
exercices physiques, douche...Enfin, toute pratique capable d’apaiser le
mental, lui redonnant ainsi les moyens de gérer la difficulté présente.
Lorsque le problème apparaît plus
clairement, débarrassé de ses harmoniques obsédantes et envahissantes, il
convient de l’observer explicitement afin de l’accepter, le comprendre et
adopter une posture adéquate : celle qui permettra, selon le cas : de le
résoudre définitivement, d’en atténuer les effets, ou de vivre avec si l’on ne
peut l’éradiquer, de desserrer suffisamment les liens qu’il nous applique pour
« respirer » convenablement et profiter de ce surplus
« d’oxygène » afin de regagner l’énergie permettant de s’en
accommoder.
Cette remarque émerge quelquefois lorsque
l’on décrit ce qu’est l’attention, et notamment ses effets sur la conscience
émotionnelle, car placer les émotions en retrait conduirait irrémédiablement à
l’insensibilité totale. Est-ce certain ? Observons pour cela ce qui distingue
une personne animée par la compassion, d’une autre mue par l’attention.
La compassion crée une affectivité pour la
souffrance d’autrui, ou empathie. Ces deux états incitent donc à aider
spontanément les personnes en difficulté, et l’on peut suggérer la présence
d’émotions à l’origine de cette implication.
Une personne attentive comprend la
situation par l’ouverture optimum du champ de conscience et l’afflux de
perceptions. Une aide directe se manifeste si celle-ci s’avère efficace et
possible.
L’attention ne prédispose pas à
l’impassibilité. Mais ce n’est pas la vague émotionnelle qui, se répandant des
êtres en demande vers l’observateur (trice) qui provoque l’intervention, avec
ses conséquences possibles (perte de moyens), mais la compréhension lucide des
événements : de conscience à conscience, sans emprunter le filtre de de
l’intellect ou de l’émotionnel.
On sait que la plupart des phénomènes
régis par les lois de la physique quantique ne trouvent pas de correspondance
dans le monde macroscopique où règne la physique classique. Essayant malgré
tout de donner une idée transposable et compréhensible à notre monde, les
expériences de pensées, images et comparaisons sont appelées à la rescousse,
sans pour autant exprimer fidèlement le formalisme quantique, cantonné dans un
espace-temps mathématique circonstancié.
Il semble qu’il en soit de même lorsque
l’on veut expliquer l’expression et les effets de l’attention selon les
facultés de la conscience ordinaire (émotionnel, intellect). Qu’importe, seul
compte le résultat et ses conséquences.
Supporter se comprend comme porter une
charge, évoquant ici un poids psychique, un fardeau mental indésirable, d’où
cette interrogation légitime a priori.
A priori ? Il s’agit d’une réaction
personnelle, individuelle, n’ayant pas vocation à l’universalité. Mais
bon ! Traitons ce cas particulier, assez répandu semble-t-il.
Lorsque nous devons partager, même de
façon fugace, la compagnie de personnes perçues comme antipathiques, cela
signifie que l’observation emprunte une lucarne particulière, la conscience
émotionnelle. Alors, le risque de réactions intempestives s’accroît.
Le prérequis, c’est l’attention installant
la lucidité face à l’événement, écartant, de fait, les jugements.
Et qui sait, peut-être que cette attitude
neutre, naturellement bienveillante, sèmera-t-elle les graines qui, un jour,
germeront dans l’esprit de ces personnes dépendantes de leur charge
émotionnelle, les incitants à une transformation.
Le téléphone sonne, décrochant le combiné,
l’interlocuteur est reconnu immédiatement : un ami de longue date. Après
les salutations d’usage et quelques phrases introductives, un flot ininterrompu
de parole semble charrié d’une source inépuisable. La source, rapidement
identifiée comme la conscience émotionnelle, il convient simplement d’être
attentif pour bien cerner la teneur du discours, puis d’attendre le moment
propice, le besoin physiologique de reprendre son souffle, par exemple, et
tenter d’apaiser la personne.
Les faits relatés montrent qu’il s’agit
d’un problème préoccupant, selon les critères de l’ami, mais résolu au mieux.
Alors une question, simple en apparence,
surgit : « pourquoi évoquer un problème, et surtout en revivre
pleinement les affres qu’il a provoquées, une fois réglé intégralement ?
Pourquoi, en effet se remémorer par la
pensée les troubles psychiques éprouvés antérieurement, et qui n’ont plus lieu
d’être ? Cela semble aberrant a priori, mais bien moins qu’il n’y paraît a
posteriori.
Esquissant la question, une réponse brute
survient : « pour parler, raconter ce qui se passe. ». Est-ce,
non pas la bonne, mais la raison profonde ? Pour répondre à cette
question, observons plus avant le processus initial.
Présente naturellement lorsque cette
conscience domine, la charge émotionnelle en constitue le moteur, puis
l’excitation ressentie, dont on pourrait mesurer l’intensité à l’aune de
l’afflux verbal, enfin la mémoire, véritable « joyau technologique »
susceptible de lier tous ces ingrédients, et de les repasser en boucle.
Si l’excitation peut puiser sa substance
dans l’intellect, celui-ci reste au service de l’émotionnel qui enclenche le
mouvement : un mouvement « perpétuel » en quelque sorte, du
moins, tant que l’ensemble perdure.
Dès lors, l’on s’aperçoit que régler un
problème peut ne pas suffire. Ce type d’expérience est révélateur du niveau de
conscience dominant.
Une solution ? Œuvrer pour réduire
l’emprise de la conscience émotionnelle. La placer en retrait par l’attention
ou la respiration consciente dès qu’elle se manifeste.
Râler : une réaction comportementale
vive face à ce que l’on ne supporte pas. Avec l’habitude et l’entraînement,
cette manière d’être peut devenir une seconde nature, voire un besoin à
partager entre collègues, amis et relations familiales : ainsi naît la
« socialisation du râleur » !
Par ailleurs, lorsque le modèle sociétal
dans lequel on vit produit en abondance des motifs à entretenir cette habitude,
il semble bien qu’un cercle vicieux se referme.
Lorsque ces conditions sont réunies, même
si l’on comprend la nécessité de changer, d’abandonner cette routine, deux
éléments s’y opposent farouchement : l’ambiance suscitant ces réactions
intempestives ; le plaisir de partager cette libération et de se défouler
ainsi entre proches.
Que faire ? S’atteler à mieux cerner
la situation, et savoir si l’on est prêt à s’engager vers une transformation
personnelle. Ne plus fréquenter le réseau des « joyeux râleurs ».
Alors, le besoin de râler, un frein à
l’évolution personnelle ? Peut-être. En tout cas, un indice sérieux sur
les conséquences possibles et sociales du changement de niveau de conscience.
Tout n’est pas dons et abondances dans
cette voie. Agir à partir d’un autre niveau de conscience nécessite parfois
(souvent) de se trouver à la croisée des chemins et choisir. Mais cette
mutation contient en elle-même les ressources pour s’adapter.
Deux amis marchent tranquillement.
Parvenus à un tournant, ils aperçoivent un jeune couple qui se dirige vers eux
d’un pas rapide. Un terre-plein semé de fleurs empêche d’emprunter à quatre, de
front, cette nouvelle voie. L’un des deux amis s’arrêta et se plaça en retrait
afin que le couple puisse passer aisément, l’autre imitant de fait son
attitude. Puis ils reprirent leur chemin, immédiatement ponctué par ce
dialogue :
« Tu as vu, ils sont passés
sans un regard, sans un mot ! »
« Oui. »
« Ils auraient pu avoir une
parole ou un geste de remerciement, tu es bien plus âgé qu’eux ! »
« Merci de le rappeler. C’est
une façon de voir les choses. »
« Tu en vois une
autre ? »
« Oui. Cela t’intéresse-t-il
de le découvrir ? »
« Naturellement. »
Cette saynète illustrera la façon
d’aborder la situation décrite selon les « quatre essentiels »
Quels sont-ils ? Que se cache-t-il
derrière ce quatuor prometteur ? Nous allons le découvrir ensemble.
Trois verbes et une invitation. Dans
l’ordre : « Comprendre, accepter et s’adapter, ne pas juger. »
§Comprendre : observer et prendre conscience de la
situation.
§Accepter et s’adapter : se placer en condition pour
cela, puis agir au mieux afin d’adopter une conduite appropriée.
§Ne pas juger : les actes que l’on qualifie de
négatifs émanent de consciences qui ne peuvent agir autrement :
limitations, manque de connaissances, excitation...
Ce scénario s’applique naturellement
lorsqu’on l’aborde avec l’attention. On peut même affirmer qu’il constitue une
opportunité pour exercer cet état de conscience.
Reprise du dialogue :
« D’accord, j’ai compris.
Quelque chose à rajouter ? »
« L’existence offre
actuellement de nombreuses occasions où l’on peut appliquer cette manière
d’être. »
« Oui, en effet. Pour
l’instant ? »
« L’instant qui reflète le
niveau de conscience global de l’humanité. »
« Et donc, en appliquant les "quatre
essentiels", on contribue à faire évoluer ce niveau ? »
« Oui. Même si cela nous
paraît insignifiant, comme la goutte d’eau dans l’océan. »
« Mais le principal n’est pas
là ! »
« Comme tu le dis :
cela, c’est la réponse de la conscience ordinaire, il importe simplement d’agir
à partir de la conscience attentive. »
« Une promenade et une
rencontre intéressante, finalement.
Le changement de niveau de conscience
occasionné par l’attention accroît le seuil de ce que l’on peut endurer :
l’intolérable d’hier devient le supportable d’aujourd’hui. Dès lors, une
question se pose : l’acceptation prônée (§ 97. Une promenade en ville) ne
fait-elle pas le lit de la résignation ?
Il ne s’agit pas de s’habituer
progressivement aux misères du monde et de cultiver l’indifférence, mais de ne
pas ajouter du contenu émotionnel à des situations qui en regorge, de
substituer la compréhension au jugement.
Si l’on craignait que ces comportements
façonnent des êtres consentants, apathiques, des victimes idéales d’un modèle
sociétal résolument tourné vers le matérialisme et l’affirmation de soi, il
n’en est rien.
En effet, lorsqu’il s’inscrit dans la
durée, le changement de niveau de conscience induit par l’attention renforce la
lucidité, aiguise l’expression du libre arbitre, laisse entrevoir des solutions
pour l’émergence d’un nouveau paradigme où la conscience, ce lien qui nous
unit, s’affirmera véritablement.
Comprendre, ne serait-ce que par la
réflexion, les éléments mentionnés dans un autre texte (§ 97. Une promenade en
ville) pour y parvenir, ne va pas
nécessairement de soi, alors le vivre ! Aussi convient-il de s’attarder
sur cette suggestion, d’en saisir véritablement les implications, et qui sait,
l’intégrer au quotidien.
D’abord, deux vécus distincts :
l’opinion en elle-même, et la conséquence d’un traumatisme.
Il y a le jugement isolé que l’on pratique
au quotidien, à propos de tout et de rien, pour s’exprimer sur le sujet. Une
habitude comportementale pouvant s’estomper relativement facilement si l’on
accepte de renoncer au plaisir que cela procure.
Beaucoup plus délicate, l’appréciation accompagnant
une meurtrissure personnelle, un acte portant atteinte à l’intégrité physique
ou psychique. Ici, ce n’est plus le divertissement ou la réjouissance qui
guident le jugement, mais la réaction émotionnelle.
Dès lors, comment s’abstenir de juger ?
En intégrant cette résolution dans une démarche morale ou religieuse. On
accepte bien volontiers, et l’on se réjouit d’y parvenir en contrepartie d’une
espérance, la satisfaction d’une conformité au précepte, voire l’allégresse
ressentie. Certes, ce « protocole » abolit le jugement, mais outre
qu’il ne concerne que les personnes impliquées dans une conduite éthique, il ne
traite que la réaction, n’examine pas la
racine même du problème, s’empêchant ainsi de trouver une solution complète et
durable.
Que dire, et surtout que faire lorsque
l’appréciation exprimée jaillit de la
souffrance endurée, comme de la haine éprouvée ? Que la rage et la colère
qui nous animent prolongent l’acte que l’on a subi, lui permettant désormais
d’éclore et de croître en nous, devenant en quelque sorte le complice de
l’agresseur, et cela aussi longtemps que notre mémoire le permet.
Il importe donc de comprendre les
fondements des comportements que l’on qualifie de déviant.
Les actes commis sont l’aboutissement d’un
état d’esprit caractérisé par les pensées dominantes. Lorsque celles-ci
exercent une attraction suffisamment forte, la réaction devient quasi
automatique.
Et que le geste répréhensible soit
mûrement réfléchi ou la conséquence d’un déséquilibre, la nuisance envers
autrui suppose une dysharmonie, un trouble intérieur.
Dessinons un arbre des choix. Prenons une
feuille, et commençons au milieu de l’un de ses bords. D’abord un trait
horizontal, suivi d’un embranchement obliquant à droite et à gauche. On
renouvelle ainsi le schéma à partir de chaque bifurcation, atteignant
respectivement le haut et le bas de la feuille. Puis on cache pratiquement tout
le modèle, ne laissant apparaître que les derniers segments figurant d’un côté
ou de l’autre. Si l’on demandait à une personne de justifier la présence des
traits à cet endroit précis, elle serait bien en peine de le faire.
Lorsque nous portons un jugement, nous le
faisons en braquant une lumière vive sur les derniers segments, ignorant tous
les autres maintenus dans l’ombre.
Ayant compris cela, il ne reste plus qu’à
l’appliquer au quotidien avec l’aide de l’attention.
Si l’on substituait un point d’exclamation
au point d’interrogation, nous emprunterions alors le sillon de Proudhon,
signataire de cette apostrophe, et fondateur de l’anarchisme.
Qu’est-ce à dire ? La thématique
principale aurait-elle glissé sans transition de la connaissance de soi au
désordre social ? Le débat n’aura pas lieu, il s’arrête au point
d’interrogation, à la question posée.
Dans la société actuelle, le droit de
propriété est fondamental, souvent placé en très bonne place dans les
constitutions. Doit-on s’en plaindre ? Non, mais évoquer le sujet.
Un corps physique nécessite des besoins,
les personnes doivent pouvoir se loger pour se protéger et disposer d’un espace
de vie. Les problèmes surgissent lorsque l’on évoque l’accès à la propriété
(voire simplement au logement en location) qui, dans une société marchande,
s’acquiert par une contrepartie financière. En effet, la disparité des
richesses et l’insuffisance des ressources restreignent l’accès au marché
immobilier, voire empêchent carrément un certain nombre de personnes de se
loger.
Ainsi, dans une société de droit axée sur
la propriété, celui-ci s’imposera sur la capacité à vivre décemment.
Ce constat n’a pas vocation à culpabiliser
les personnes ayant acquis un bien immobilier, souvent en échange d’une longue
vie de labeur, ni de prôner des révolutions ! De toute évidence, celles-ci
resteront vouées à l’échec tant qu’elles laisseront l’essentiel sur le
bas-côté : la transformation de soi.
Pourquoi cette interpellation alors ?
Pour montrer que la propriété peut conduire à la séparation comme à la
hiérarchie des consciences.
Pour s’aider et ne pas basculer, le
funambule recherche l’équilibre avec les bras étendus à l’horizontale de chaque
côté du corps ou, plus sûrement, en tenant une perche. C’est l’utilisation d’un
principe physique : abaisser le centre de gravité du système
« équilibriste-perche » pour gagner en stabilité.
La société, les relations sociales créent
en permanence des ruptures d’équilibre qu’il faut compenser afin d’éviter les
chutes.
Dans cette perspective, les
« funambules » que nous sommes utilisent différents modèles de
« perches » : dérivatifs (télévision, Internet, sports,
jeux...), addictifs (alcool, tabac, drogues, sucre...), matérialité (richesse,
possessions, pouvoir...), isolement...La liste est longue !
Cette compensation pour maintenir son
équilibre s’avère certes multiforme, mais toutes s’inscrivent dans la
conscience ordinaire, avec une prédilection pour son aspect émotionnel.
Est-on condamné à cela ? Non.
L’attention constitue un point d’équilibre naturel qui permet de s’aventurer
sans l’aide d’une « perche » pour parcourir le « fil de
l’existence ».
Un rendez-vous de longue date arrivait à
échéance ce jour, une soirée mémorable en perspective ! Déjà, par la
pensée, l’on imagine le déroulement des événements, les moments forts de cette
retrouvaille entre amis. La stimulation du mental procure une double
satisfaction : tromper l’attente, oublier ce qu’il aura fallu de
recherches, de préparations, de soins et de temps pour réunir l’ensemble des
convives et organiser cette réception. Une pensée rétrospective se manifeste,
cela faisait si longtemps qu’on ne s’était vu ! Combien déjà ?
Le
téléphone sonne, interrompant la rêverie, empêchant de trouver la réponse à
cette question.
« Bonjour, je t’appelle pour
plusieurs des personnes qui devaient ("devaient" : un premier signal
de stress surgit dans le plexus solaire de l'hôte) venir ce soir, mais se
trouvent retenues par un empêchement de dernière minute. Désolé, on remet cela
à plus tard ? »
En un éclair, la conscience émotionnelle,
à l’oeuvre dans la joie anticipée de revoir tous ses anciens amis, continue de
s’imposer dans un autre registre : une vague de contrariété envahit tout
l’espace mental disponible. Par un effort appuyé, on tente de reprendre la
main, et c’est pour s’entendre prononcer d’une voix hésitante et sourde des
mots en totale contradiction avec le sentiment éprouvé : « Oui, bien
sûr, pas de problème. » Puis on raccroche sans se souvenir si l’on a pu
articuler les formules de politesse d’usage.
Que faire maintenant ? Simplement ce
qui doit être : ranger le décor, desservir plats et couverts en surnombre et
revenir à une soirée ordinaire...
Non, pas une soirée banale, si l’on
accomplit tous ces actes avec attention !
Après « Ne pas juger » (§ n°
99), une autre recommandation qui va dans le même sens, mais plus difficile à
tenir. Tentons l’expérience : qui peut le moins, peut s’aventurer vers le
plus !
On ne peut véritablement accepter un
concept qu’à partir du moment où celui-ci intègre notre champ de compréhension.
Une évidence semble-t-il, mais qui demeure la bienvenue pour aborder le chemin
escarpé du pardon.
Les futures actions germent tout d’abord
sous la forme de pensées. Au premier stade de leur développement, celles-ci
sont amorales, elles acquièrent une éthique dans la conscience selon
l’éducation reçue et les valeurs personnelles développées.
Considérons un acte susceptible d’affecter
l’intégrité psychique ou physique d’autrui. Le libre arbitre, lié à la moralité
et aux sentiments éprouvés, commandera ou non la décision d’agir.
Si l’on décortiquait l’ensemble des
éléments concourant à la décision ultime, on pourrait y trouver
pêle-mêle : pulsions, tendances, sensations, peur, excitation,
spéculation. Un ensemble de composants qui s’opposent, s’annulent ou se
renforcent, mais d’où proviendra au final la résultante : le passage à
l’acte, ou non.
Si l’on disposait de toutes les
informations qui interfèrent au moment de l’accomplissement, il serait possible
de déceler celles qui emportent la décision. On comprendrait alors parfaitement
les rouages de la conscience impliquée.
Dès lors, une hypothèse se fait jour. Une
personne avertie, saine d’esprit et respectueuse se défendra de nuire. Cette
démarche suppose un certain nombre d’acquis.
On peut en déduire que les conduites
préjudiciables procèdent de tendances incontrôlables ou d’un manque de
connaissances. Ce dernier terme étant compris comme l’intégralité des
informations et des perceptions nécessaires à la réalisation d’actions
naturelles, en accord avec la notion de conscience universelle présente en
chaque être.
Ceci étant posé, revenons au concept du
pardon.
L’acte de pardonner suppose un référentiel
préalable, qu’il soit moral, spirituel ou religieux, l’aspirant à la
miséricorde y puisera l’énergie indispensable.
En effet, tenant le rôle de
victime il convient, pour adopter cette posture, d’être capable de transformer
une charge émotionnelle puissante, faite de ressentiments et de souffrances, en
abnégation compassionnelle. Une lutte s’engage entre les meurtrissures subies
et la volonté de pardonner pour satisfaire une conviction.
Maintenant l’idée d’une absence de
connaissances à l’origine des actes néfastes, on peut s’affranchir du pardon,
lui substituant une compréhension totale avec un degré d’attention suffisant.
Ce maintien empêche également de sombrer dans l’excès émotionnel, ajoutant de
la souffrance à la souffrance sur une période indéfinie.
Cela ne contrarie nullement le maintien
d’un système préventif et répressif organisé dans un cadre sociétal approprié.
Il est cependant permis de s’interroger
sur les conditions qui prévalent à cette organisation, de leur capacité réelle
à transformer les personnes y séjournant : deviennent-elles meilleures et
adaptées socialement ? Ne conviendrait-il pas d’oeuvrer davantage en amont
en rappelant l’interpellation de Victor Hugo : « Ouvrez des
écoles, vous fermerez des prisons. » Mais des établissements intégrant la
dimension émotionnelle, le respect d’autrui, la considération de la nature.
Il a été signalé qu’il suffisait
d’éprouver, ne serait-ce qu’un bref instant, les effets de l’attention
(dissipation des pensées parasites, lucidité...) pour valider cet état de
conscience que l’on porte en soi et le renouveler par la suite. Cela est vrai,
et ne requiert aucun ajout.
Mais cet espace sans limite qui s’ouvre à
soi, naissant d’une sorte de fulgurance, peut susciter l’effroi.
Comment un état de conscience fondée sur
l’attention, qui expulse les pensées parasites, peut-il installer la
crainte ?
Ce type de pensées ne se limite pas aux
manifestations négatives, loin de là.
Elles séduisent aussi avec brio, si bien qu’on les recherche et qu’on les
stimule avidement pour en goûter les effets : pensons (c’est le cas de le
dire !) aux multiples scénarios, vécus ou imaginés, que l’on aime à
réactiver sans cesse !
Intégrant cette pratique, le cerveau
inscrit la procédure dans une zone de confort qu’il aménage spécialement pour
son hôte (nous-mêmes !).
Dès lors, comment pourrait-il s’accommoder
lorsque le « vide » mental de l’attention s’établit, envahit la zone
choyée ? Il ne le peut, ou très difficilement, provoquant ce sentiment de
malaise, voire de frayeur.
Pour passer outre, il faut
comprendre : quelle est la nature de ce vide ? Une façon évidente
d’en saisir sa structure consiste à spécifier ce qu’il remplace, ce que
contenait le mental avant l’intervention de l’attention.
Tous les phénomènes agrégés par le temps,
élaborés patiemment jour après jour, que l’on nomme habitudes,
conditionnements ; l’expression du
reflet que l’on observe dans le miroir sociétal et le regard des autres,
la substance même de notre personnalité : l’ego.
Alors oui, perdre cela soudainement peut
soumettre la conscience ordinaire à rude épreuve.
L’attention, en provoquant un changement
immédiat et radical de niveau de conscience, installe l’être véritable au-delà
des apparences et des constructions mentales. Il faut le dire. Mais il convient
de rappeler également que le choix de poursuivre ou renouveler cette expérience
relève du libre arbitre et de la volonté : des créations de l’ego qui vit
cette frayeur, mais accepte paisiblement sa dissolution pour voir s’établir la
liberté véritable.
« Oui. Tu sais, la personne
qui vient de (ville de la région parisienne), et qui s’est installée ici (
ville de la région centre)... »
« Oui, je me souviens. »
« Eh bien, il a installé sa
remorque dans ma cour, et déposé des affaires dans mon garage. »
« Et ça
t’ennuie ? »
« Oui. Mais je ne sais pas
quoi faire. »
« Tu le connais
bien ? »
« Oui. »
« Considère cela comme une
aide, favorisant des relations de bon voisinage. »
« Oui. Bien sûr... »
« Mais ça te gêne
toujours. »
« C’est pas moi, c’est (le
nom d’un voisin). C’est depuis qu’il m’a dit de ne pas accepter qu’on dépose
des affaires chez moi. Il m’a raconté que son voisin lui avait demandé de
pouvoir déposer du bois dans son jardin, il a refusé, et précise que je devrais
en faire autant. »
« On peut en parler. »
« Oui, d’accord. »
Nous sommes souvent amenés à prendre des
décisions, certaines ne présentent aucune difficulté, souvent immédiatement
oubliées après leur application, tandis que d’autres s’incrustent, laissent des
traces. La résolution peut être directe, ou dépendre d’influences diverses.
Examinons une situation perturbante
doublée d’une emprise extérieure.
Tout d’abord, l’événement vient certes
bousculer nos habitudes de vie, mais on l’intègre. Puis, sur les conseils d’un
« ami », ce phénomène prend de l’ampleur, occasionne une gêne quasi insupportable.
Que s’est-il passé ? Comment
expliquer ce changement radical dans notre perception ?
D’abord une phrase introductive :
« Il n’y a pas de raison, tu ne devrais pas accepter cette situation,
réagis ! Moi, à ta place... » On accueille la suggestion pour la
laisser mûrir dans la conscience où elle produit des effets délétères. C’est
comme un caillou que l’on nous tend, et que l’on place volontairement dans une
chaussure !
Cela concerne l’impact, mais la cause première,
où se dissimule-t-elle
Déjà, pour acquiescer à cette proposition,
convient-il de développer une certaine propension à son égard, que la
conscience entre en résonance avec cette thématique, sinon elle passerait
comme un nuage dans le ciel.
Voici pour le message. Et le
messager ? Il importe plus encore par le relationnel et la considération
qu’il suscite. Selon les liens qui nous rattachent à lui, nous sommes plus ou
moins enclins à l’écouter et suivre ses propos.
Si l’on a compris le mécanisme conduisant
à cette réactivité, une question essentielle reste en suspens : comment
l’éviter ?
A la base, il y a la conscience.
Progressivement, régulièrement, nous l’édifions, l’enrichissons et
l’entretenons par l’éducation reçue, les
expériences accomplies, les ressentis éprouvés. Cette conscience, nous
la bâtissons et l’aménageons à notre guise, tel un projet immobilier dont nous
serions à la fois l’architecte et l’ensemble des corps de métier dédiés.
Si ce schéma séduit, reflète-t-il la
réalité ? Ne se heurte-t-il pas frontalement aux comportements communs
teintés, si ce n’est englués dans une horde d’ascendants, d’influences et
d’emprises ? Très certainement. Des attitudes contenues par exemple dans
ce type d’affirmations :
« C’est pas moi, c’est ma
mère, ou mon père qui... »
« Il m’a connu tout jeune, et
avant il fréquentait déjà mes parents... »
« Je ne fais pas ça pour moi,
mais pour mon (ma) conjoint(e), mes enfants... »
Ces interjections, bien réelles, décrivent
la surface des choses, mais jetées comme une bouteille à la mer, elles
expriment une forme de détresse. Parfois, cela manifeste le décalage entre la
façon dont nous souhaiterions agir et ce que nous dictent les circonstances.
Cela rassure également, amorçant une démarche de recherche en responsabilité.
Mais les faits, qui rappelons-le sont
têtus, balayent toutes ces convenances à la moindre réflexion : disposant
du libre arbitre et de l’intégrité psychique, nous avons toujours le choix et
sommes seuls responsables de nos actes.
Il est possible de s’extraire des
approximations et des tergiversations, de ne plus dépendre de l’avis
réconfortant des autres. Pour y parvenir, il convient :
§d’aménager au mieux l’ espace de conscience à partir
duquel nous agissons, facilitant ainsi l’action juste, celle qui nous correspond ;
§de redécouvrir, ou découvrir la qualité d’exister, ne plus
avoir l’impression de réagir simplement aux événements, de ne pas conduire sa
vie ;
§d’être en paix avec soi-même, et donc avec les autres.
Dans une chambre d’hôpital. Avec la
sonnette à disposition, l’homme appelle afin que l’on puisse aider son épouse
alitée. Une personne se présente, prend note de la demande et dit :
« Je reviens avec le nécessaire. » Après un certain temps, le mari appelle de
nouveau, et voit l’aide-soignant revenir avec le matériel de soin pour
accomplir sa tâche.
Alors une altercation s’engage. Le mari
reproche le temps mis pour intervenir et s’entend répondre : « Je
vous avais dit que je devais d’abord chercher le matériel. » Cet échange,
basé sur l’incompréhension, frôle l’altercation, puis s’estompe.
Rapportant l’anecdote, le mari
déclare : « Je suis resté poli, mais ferme. Il faut, de temps à
autre, rappeler aux personnes ce qu’elles doivent faire. Etre gentil, à un
moment donné, ne sert plus à rien, sinon de se faire berner. » Puis il
rajoute : « Je sais ce que tu vas me dire, mais moi je ne recherche
pas les sphères de plénitude éthérées, j’estime qu’il faut dire ce qu’on a à dire
quand c’est nécessaire. »
Beaucoup d’éléments dans cette
proclamation, voyons ce qu’il est possible d’en retenir. Mais d’abord, les
faits.
Le préposé aux soins avait signalé qu’il
lui fallait, au préalable, chercher le matériel nécessaire. Etre attentif à ce
moment-là aurait pu éviter le comportement provoquant l’altercation. Mais la
conscience fonctionnait sur le mode émotionnel, privilégiant l’affirmation de
soi, une posture dictant la teneur des propos.
§«Il faut, de temps à autre, rappeler aux personnes ce
qu’elles doivent faire. » : nous voici plongé au cœur du modèle
sociétal privilégiant le contexte social au détriment de la relation de
conscience à conscience. Cela ne signifie pas qu’il faille tout accepter, mais
user de l’attention pour étayer la compréhension des événements, s’exprimer à
l’être et non au statut social.
§« Etre gentil, à un moment donné, ne sert plus à
rien, sinon de se faire berner. » : évocation de souvenirs douloureux
lorsque l’on s’essayait, en vain, à la gentillesse ? Un processus typique
du principe d’action et de réaction : je tente la gentillesse (action)
pour obtenir quelque chose en échange (réaction), et reste obnubilé par l’échec : il ne faut plus être
gentil !
§ « Je ne
recherche pas les sphères de plénitude éthérées. » : allusion et
représentation à celui qui essaye simplement d’être attentif au quotidien. Il
est vrai que comparé au comportement habituel, cela donne l’impression de venir
d’une autre planète !
Mais revenons à l’aspiration citée,
correspond-elle à la réalité des faits ? L’attention convoite-t-elle des
sphères éthérées ?
Certainement pas. Par contre elle
constitue une voie royale pour délaisser l’affirmation de soi à la faveur de la
connaissance de soi. Restons sur l’exemple proposé.
Engagés dans un échange conflictuel, et si
possible avant que cela ne se produise pour disposer d’un temps de réflexion,
il paraît salutaire de se poser la question : « Que puis-je apprendre
de cette situation ? », et si l’on accepte d’examiner les réponses en
toute objectivité, elles nous offriront bien souvent une opportunité pour
changer, s’améliorer, évoluer. On peut s’interroger notamment sur notre
implication personnelle dans ce conflit,
et comment aurait-il été possible de l’éviter.
Il ne s’agit pas d’un acte de résignation
ou de soumission, il faut développer une grande force intérieure pour exprimer
posément, et avec bienveillance, ce qui doit être dit. Cette voie, abrupte mais
riche de sens, mène à la connaissance de soi.
A l’exception du bouddhisme, la souffrance
occupe souvent une place de choix dans les doctrines religieuses et
spirituelles pour se purifier, permettant ainsi à l’esprit d’évoluer.
L’image du minerai de fer que l’on
chauffe, porte au rouge, et liquéfie afin de le débarrasser de ses scories et
le couler dans un moule pour lui donner une forme parfaite, décrit bien
l’analogie.
S’inspirant du bouddhisme qui délaisse
toute forme d’ascétisme et privilégie la voie du milieu, il semble intéressant
d’aborder une réflexion sur le thème : « évolution et souffrance ».
Adoptons le principe d’une conscience non
locale engagée dans une voie évolutive.
Dans cette perspective, elle doit
accroître ses connaissances. Pour cela, elle acquiert de l’expérience en vivant
diverses situations, mais aussi par l’observation et la réflexion. Toutes ces
notions sont acquises dès lors que la compréhension se manifeste pleinement.
Quelles peuvent être les voies envisageables
pour accéder à cette compréhension ?
Comme il fut dit, l’étude, la réflexion,
complétées par la connaissance de soi.
La « route de l’existence »
n’est-elle pas semblable aux voies de circulation où des panneaux indicateurs
avertissent des dangers et précisent la conduite à tenir ? Disposant de
ces informations, le libre arbitre autorise différents comportements :
§respecter les indications et adapter sa conduite ;
§les ignorer ;
§braver volontairement les avertissements et augmenter la
prise de risque.
Les « accidents » qui peuvent
survenir s’accompagnent de souffrance. Celle-ci résulte fréquemment de notre
façon d’être, notamment lorsque l’on privilégie l’entêtement face à l’écoute et
l’adaptation.
Bien sûr, on peut souffrir en subissant
des agressions psychologiques ou physiques pour lesquelles nous n’étions pas
impliqués personnellement, cela reflète le niveau de conscience global de
l’humanité, émanant essentiellement de
la conscience émotionnelle.
Dans le cadre évolutif de la conscience,
on peut émettre l’hypothèse qu’il existe de nombreuses voies d’avancement où la
souffrance demeure inconnue.
Délaissant l’aspect spirituel, revenant à
la condition d’être « biologique pensant », pourquoi ne pas adopter
dès maintenant une attitude appropriée, de faire comme si ? Comment
cela ?
§En recherchant la compréhension plutôt que
l’obstination ;
§en choisissant de s’adapter lorsque celle-ci se
manifeste ;
§en renonçant au jugement à l’égard d’autrui.
Si, maintenant un certain degré
d’attention, nous pouvons réaliser cela ici et maintenant, le niveau de
conscience atteint devrait perdurer et continuer de s’exercer dans son
cheminement évolutif.