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13/12/2011

169. Méditer ou préparer une sauce ?


Texte lu



Christian : « Il y a quelque temps que je ne médite plus...Pourtant, cela me fait du bien... »

Patrick : « Rien n’est jamais acquis, tout subit les aléas du mental. »

« Ce n’est pas une erreur ? »

P : « Comment ? »

« Le prénom, Christian, d’habitude c’est Claude ! »

P : « Non. Je confirme, c’est bien Christian, un ami de quarante ans. »

« Mentionner ici une « amitié de quarante ans » n’est-il pas contradictoire avec le fait de considérer les êtres comme des consciences, qui certes se différencient par leurs expériences, mais sont identiques en tant que tel (la Conscience) ? »

P : « Non. C’est factuel. »

« Je ne vais pas lâcher si facilement, après tout ce que tu as écrit et dit sur le sujet. Etre attentif place la conscience émotionnelle en retrait. Or, ce qui caractérise une amitié résulte essentiellement de sentiments liés aux émotions, et lorsque cela s’inscrit dans une telle durée, comment résoudre ce paradoxe ? »

P : « le paradoxe n’existe qu’en fonction de la grille de lecture des événements. La distinction : relations, copains, amis, auxquels on ajoute le critère de durée, fait sens dans un contexte bien déterminé, notamment dans le modèle social, culturel et moral où nous baignons quotidiennement. Un modèle reposant largement sur la conscience ordinaire, donc de nature quasiment émotionnelle concernant le sujet évoqué. Etre attentif permet de substituer la sensibilité aux émotions. »

« Tu n’as pas vraiment répondu à la question ! »

P : « Il me semblait pourtant. Bon, je vais détailler. »

« Ah, on va enfin peut-être savoir ! »

P : « L’amitié se construit à partir d’affinités entre les personnes. Celles-ci se cultivent au fil du temps, c’est ainsi qu’on peut le mesurer (on évoquera alors une « amitié de quarante ans »). Lorsque l’attention préside à la manière d’être de l’une ou l’autre des parties, la sensibilité se substitue aux émotions... »

« Et cela change quoi ? »

P : « Le primordial : à partir d’un certain degré d’attention, les émotions (disons négatives pour fixer les idées, bien qu’il y aurait à dire sur ce qualificatif) ne peuvent altérer, reconsidérer, voire détruire la relation. »

« D’accord, mais alors les relations perdurent quoi qu’il advienne ? »

P : « Non, rien n’est permanent. La relation peut être rompue unilatéralement, d’un commun accord, ou se distendre jusqu’à disparaître selon les aléas de l’existence, mais, je le répète : cela ne saurait être dû par l’intrusion de pensées émotionnelles dans la conscience de la personne qui cultive l’attention. »

« J’ai compris...Et sur la notion des émotions négatives ? »

P : « Pour ne pas alourdir le thème initial, j’aimerais aborder ce sujet ultérieurement. Cela ne te dérange pas ? »

« Non, je te le rappellerais à l’occasion. »

P : « Parfait ! Reprenons ce dialogue avec Christian. Donc, tu es en panne de méditation !»

Ch. : « Oui, on peut dire cela comme ça ! »

P : « Ce n’est pas un problème, bien au contraire ! »

Ch. : « Ah bon ? »

P : « Oui. Et nous allons voir pourquoi. »

Ch. : « J’ai hâte... »

P. : « Méditer est une activité parée de nombreuses vertus, et le temps qui passe apporte régulièrement des études sérieuses pour confirmer cela. Mais... »

Ch. : « Mais...diter ! »

P : « C’est un bon début ! »

Ch. : « Je m’entraine ! »

P : « Cela promet ! »

Ch. : « Et donc, que se cache-t-il derrière cette réserve ? »

P : « La méditation est tout un art en soi, elle nécessite : un moment choisi, un lieu approprié, une posture adaptée, une attitude mentale pertinente. Une fois toutes ces conditions réunies, il convient de suivre un schéma particulier, qui consiste le plus souvent à ne pas se laisser distraire par les pensées qui se présentent dans le champ du mental. »

Ch. : « C’est bien résumé, effectivement, et que pourrait-on y déceler de subversif ? »

P : « Subversif n’est pas le qualificatif qui conviendrait à cette pratique. Comme cela fut largement démontrée, cette pratique apporte de nombreux bienfaits, tant au fonctionnement optimum de l’organisme qu’au cerveau. »

Ch. : « Et alors ? »

P : « L’existence est généreuse et pleine d’imprévus, elle nous gratifie de multiples expériences qui éprouvent notre contenance et notre patience dans les situations et les circonstances les plus diverses. Face à cela, nous opposons un rituel codifié, figé dans l’espace et dans le temps. L’effet de surprise joue constamment contre nous. »

Ch. : « Et après, porté par les échecs et la lassitude qui s’ensuit on déclare : « Il y a quelque temps que je ne médite plus ». »

P : « C’est lucide et courageux de l’admettre. »

Ch. : « De rien. Si je pouvais en apprendre davantage sur le sujet... »

P : « Voyons ensemble. Tu es d’accord qu’il est préférable d’agir en situation, plutôt que de compter sur la pratique régulière d’une méditation quotidienne ? »

Ch. « Oui. »

P : « Un grand pas vient d’être franchi ! »

Ch. « Si tu le dis ! »

P. « Je le dis. Oui ! »

Ch. « Je t’écoute. »

P : « Il faut donc œuvrer au quotidien, déployer une attitude mentale susceptible de restituer celle de la méditation, et cela, aussi bien dans les tâches à accomplir que dans les situations stressantes. »

Ch. : « Pas facile ! »

P : « Nous sommes bien d’accord sur ce point ! »

Ch. : « Alors ? »

P : « Allons-y progressivement. Mais d’abord, comment adopter une attitude méditative dans les expériences qui rythment notre quotidien ?  »

Ch. : « Ah ça, je sais ! Etre attentif ! »

P : « Bravo !  »

Ch. : « Je n’ai aucun mérite, à chacune de nos conversations je me demande combien de temps te faudra-t-il avant de prononcer le mot « attention » ! »

P : « Je plaide coupable...  »

Ch. : « Tu es absout, je sais que c’est pour mon bien ! Donc, la méthodologie étant connue, comment l’adapter aux circonstances ? »

P : « En allant du plus simple au plus complexe.  »

Ch. : « Descartes n’aurait pas dit mieux ! »

P : « Tu me places en prestigieuse compagnie !  »

Ch. : « C’est pour susciter des réponses inspirantes. »

P : « Je vois. Je vais tâcher d’en être digne. Je propose donc trois situations progressives. »

Ch. : « La première. »

P : « Etre attentif dans des conditions optimales : durant une promenade dans un lieu propice à la détente (parc, forêt...), et par une belle journée ensoleillée. On pourra naturellement utiliser la respiration consciente s’il est difficile d’être simplement attentif. »

Ch. : « Entendu. La deuxième »

P : « Choisir une tâche facile, voire routinière, mais que l’on considère avec ennui, et l’aborder avec attention. »

Ch. : « Oui. Reste à trouver lesquelles. »

P : « J’ai un parfait exemple ! »

Ch. : « Ah bon ? »

P : « Oui. Préparer la sauce d’accompagnement des plats. »

Ch. : « Je le fais bien volontiers. »

P : « Certainement en pensant à autre chose, et en quantité suffisante pour ne s’y atteler  qu’une à deux fois par semaine. Après tout, les réfrigérateurs sont faits pour cela ! J’ai une preuve : ce que tu m’as avoué, la dernière fois que tu es venu mangé à la maison et que tu préparais justement cette sauce ! »

Ch. : « Difficile d’affirmer le contraire. Mais bon, il y a tellement de choses plus intéressantes à faire ! »

P : « Je n’en disconvient pas. Mais il semble important de préciser par la suite la notion « d’intérêt » et ce qu’elle implique. »

Ch. : « Et comment tu vois les choses ? »

P : « Très simplement : chaque jour, en début de préparation du repas, réunir les ingrédients nécessaires à la confection de la sauce, suivre les étapes de l’élaboration avec attention. Cela permettra : de ne pas se blesser, de mesurer les composants avec précision, de réaliser cela sans ennui, de bénéficier chaque jour des meilleurs nutriments de par leur fraîcheur. »

Ch. : « Je vais essayer. Et la troisième ? »

P : « Lorsque l’on est confronté à une situation stressante. Il faut alors mobiliser immédiatement les ressources de l’attention pour ne pas se trouver sous emprise de la conscience émotionnelle. Outre que l’on ajoute pas ainsi des tensions supplémentaires provoquées par notre propre ressenti, on conserve la lucidité indispensable pour gérer au mieux cette conjoncture problématique. »

Ch. : « Plus facile à dire qu’à faire ! »

P : « Tout à fait. Mais c’est avec la pratique et l’expérience que cela finira par être possible. D’autant plus si l’on s’y emploie régulièrement dans les situations évoquées précédemment. »

Ch. : « Bon. Je vais voir, et je te ferai un compte-rendu. »

P : « Merci, mais c’est surtout pour toi. »

Ch. : « Hélas !...Je sais...Ah oui, j’allais oublier : la notion d’intérêt et ce qu’elle implique ? »

P : « Ah oui. Merci de me le rappeler, c’est très important. »

Ch. : « Je sens que ça va être un peu long !... »

P : « Possible, mais c’est justifié. »

Ch. : « Bon. Bah, allons-y... »

P : « Une bonne façon de revenir à l’essentiel : la conscience nous unit, les expériences de conscience nous séparent. »

Ch. : « Hou là, ça commence fort ! Quelques explications. »

P : « La conscience définit les êtres au sens fondamental : nous sommes avant tout une conscience, quel que soit le sens que l’on attribue à cette notion. Au niveau primordial, la conscience est unique. C’est par la suite qu’elle se diversifie et se différencie, accumulant des connaissances (éducation, culture, apprentissage, conditionnements...) et des expériences. »

Ch. : « Jusque-là, d’accord. »

P : « Pour une conscience, tout est expérience, de la moindre perception à la réflexion la plus élaborée. On peut considérer chacune de ces expériences comme une mise en vibration de la conscience, sinon nous serions comme des pierres sur le chemin. »

Ch. : « Donc, au cours d’une promenade en forêt, si nous buttions sur une pierre placée sur notre chemin, cela serait une expérience de conscience ? »

P : « Oui. Non pas pour le pied, quoi que, mais certainement pour la conscience qui réagira, tout particulièrement lorsque sa partie émotionnelle se manifeste avec vigueur ! »

Ch. : « Effectivement... »

P : « Les expériences de conscience ont ceci de commun, c’est de placer la conscience ordinaire au premier plan. Pour rappel, la conscience ordinaire comprend : la partie émotionnelle et l’intellect. »

Ch. : « C’est normal, comment faire autrement ? »

P : « C’est normal qu’elles interagissent, parce que faisant partie du processus d’élaboration de la pensée par le cerveau, mais qu’elles se manifestent au premier plan est une autre histoire ! »

Ch. : « Qu’est-ce que tu veux dire ? Je ne comprends pas ? »

P : « Les expériences de conscience se déroulent pour la plupart dans le mode : action / réaction. Et dans cette perspective, les couches de la conscience ordinaire sont fortement impliquées. Il suffit pour cela d’observer les différents comportements des personnes au quotidien, et mieux encore, les nôtres ! On réagit plus que l’on agit sereinement. »

Ch. : « Oui. Bien-sûr...Mais peut-on faire autrement ? »

P : « En abordant ces expériences par la conscientisation. »

Ch. : « Ce qui signifie ? »

P : « Etre attentif. »

Ch. : « Impossible d’y échapper, semble-t-il ? »

P : « L’attention est une capacité naturelle, qu’il faut certes cultiver, mais faisant partie des propriétés de la conscience. Son aptitude à placer la conscience ordinaire en retrait provoque immédiatement un changement de niveau de conscience. »

Ch. : « Et c’est ainsi que l’on passe, tout aussi promptement, des expériences de conscience à la conscience elle-même ! »

P : « Tout à fait ! »

Ch. : « Et donc, si je te suis bien, l’ennuie, l’agacement, que l’on éprouve dans l’accomplissement de certaines tâches se dissipent comme par miracle ? »

P : « Pas par miracle, mais tant que l’attention perdure, oui...Comme préparer une sauce, par exemple ! »

Ch. : « Merci bien. je vais m’y atteler ! »

P : « De rien. J’espère que cette conversation te permettra de gagner en compréhension, plaçant ainsi la conscience sur des chemins évolutifs. C’est le souhait formulé après quarante ans d’amitié. »

Ch. : (laisse échapper un sanglot)

P : « Qu’entends-je ? Que vois-je ? Un sanglot à peine contenu, une larme qui perle au coin des yeux ! »

Ch. : « Je suis désolé. Qu’y puis-je, c’est plus fort que moi... »

P : « Encore une fois, il s’agit simplement d’une traduction émotionnelle. Si tu le permets, je souhaiterais conclure sur un point qui me semble important, car il est crucial dans le plan évolutif de la conscience, et son application est bien mal comprise, voire reniée dans notre modèle sociétal. »

Ch. : « Vas-y, je t’en prie. »

P : « Il est très difficile de se départir de cette attitude car elle se situe à un carrefour stratégique de la conscience ordinaire : la conscience émotionnelle, souvent remplie à ras-bord, déborde facilement (les larmes) ; la conscience de la raison, édifiée par l’environnement socioculturel : afficher ses émotions, et notamment, pleurer pour un homme, s’avère être un signal puissant démontrant la reconnaissance et la gratitude. »

Ch. : « Que faire ? Devenir un monstre froid ? »

P : « Bien-sûr que non. Simplement, substituer la sensibilité à l’émotion. »

Ch. : « Simplement ? »

P : « C’est une entrée en matière. Mais par la suite, avec la pratique, cela deviendra simple car naturel. »

Ch. : « Dans la situation que je viens de vivre, comment se comporterait une personne guidée par la sensibilité ? »

P : « Ressentant les prémisses d’une manifestation émotionnelle, elle recourt à l’attention pour atténuer, voire supprimer cet état (invitant la respiration consciente si l’attention seule ne suffit pas). Alors la compréhension des mots qui suscitèrent cela la laisse dans l’écoute pour en apprécier toute la substance, sans débordement égotique. La gratitude peut prendre alors la forme d’un sourire doux et apaisant qui se dessine graduellement sur son visage. »

Ch. : « Bon, bah maintenant : la pratique ! »

P : « Il ne saurait y avoir meilleure conclusion ! »

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