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15/01/2012

136. J'ai raté ma vie


Texte lu




« Bonjour ! »

« …bonjour… »

« Oh ! ça n’a pas l’air d’aller ? »

« On peut le dire, en effet. »

« Tu as envie d’en parler ? »

« A quoi bon… »

On verra bien. Mais avant cela, acceptes-tu d’évoquer ce qui ne va pas et provoque ce mal-être ? »

« Si tu as le temps. »

« J’en dispose. »

« Et si tu es capable de supporter ce que je pourrais dire. »

« Actuellement, c’est toi qui éprouves de grandes difficultés à vivre cet état, parle, cela te fera du bien. Quant à moi, je suis dans l’écoute. »

« Je ne sais pas par où commencer ? »

« Par ce qui est à l’origine de cette détresse. »

« J’ai raté ma vie… »

« Ah oui, quand même ! »

« Tu vois ! »

« Je vois. Mais encore ? »

« Ce n’est pas suffisant ? »

« Quels sont les éléments qui te font penser cela ? »

« Je voulais fonder une famille heureuse et harmonieuse, avoir une bonne situation pour lui apporter la sécurité, le confort, le bonheur, voir mes enfants grandir dans cet environnement épanouissant, et… »

« Et ? »

« Comme tu le sais maintenant : je suis seul, divorcé depuis de nombreuses années, mes enfants m’ignorent, je n’ai plus aucun contact avec eux, et ma retraite est juste suffisante pour satisfaire mes besoins… »

« En effet, oui. »

« Tu vois, j’ai vraiment raté ma vie sur toute la ligne. »

« On va essayer d’éclaircir un peu tout cela. »

« Il va falloir de sacrés projecteurs ! »

« Ou un peu de lumière judicieusement appliquée sur les zones d’ombre ! »

« Allons-y. Après tout, le temps est la seule richesse qui me reste. »

« On part sur une bonne base. Tout d’abord, qu’est-ce qui te persuade que tu as raté ton existence ? »

« Bah, c’est évident ! »

« Mais encore… »

« Tout ce que j’envisageais de réaliser : les rêves de toute une vie qui se sont métamorphosés en cauchemars ! »

« D’où provenaient ces rêves ? »

« De ce que l’on m’a appris, de l’éducation reçue, du modèle familial de mon enfance et des améliorations que je souhaitais y apporter une fois en capacité de fonder une famille. En clair, ce qui est normal. »

« Voici un mot très intéressant. »

« Lequel ? »

« Normal. »

« Ben oui, normal, naturel. »

« Normal ou naturel ? »

« C’est la même chose ! »

« Vraiment ? »

« C’est ce qu’on dit. »

« Oublions les "C'est ce qu'on dit" et revenons sur un point essentiel : la compréhension. Sans elle, il nous sera difficile de trouver des solutions aux difficultés exposées. Tu es prêt ? »

« Oui. »

« Que signifie le terme "normal" ? »

« Qui correspond à une règle générale. »

« Avant d’évoquer la notion de règle, quel autre mot y retrouve-t-on ? »

« La norme. »

« Oui. Et cette norme, d’où provient-elle ? »

« D’un modèle. »

« Et ce modèle, où prend-il sa source ? »

« Dans les habitudes. »

« Mais encore ? »

« L’éducation, la culture… »

« C’est mieux. Et cela représente quoi ? »

« Heureusement que nous disposons de temps ! »

« Justement, profitons-en ! Et donc ? »

« La transmission d’un savoir. »

« Cela en fait partie. »

« Je ne vois plus. »

« Un modèle sociétal : ce sont les règles, les convenances, les coutumes qu’adoptent et suivent les personnes vivant au sein de cette société. Et qu’exprime la norme dans cette structure ? »

« Ce qui est naturel. »

« On y revient ! Pas nécessairement. La norme représente ici une mesure statistique des comportements. C’est l’attitude moyenne la plus suivie pour une population donnée. L’extrapolation à ce qui est naturel s’avère loin d’être fondée ! Cela dépend de ce qui établit les normes, essentiellement du niveau d’éducation et de conscience de la population. »

« Entendu. »

« Donc, ce que l’on considère comme "normal" n’est pas nécessairement "naturel", et ne figure pas indubitablement de la meilleure attitude possible face à un événement. »

« Et comment apprécier cela ? »

« En observant les effets du modèle sociétal qui, au gré de la mondialisation, s’étend de façon galopante à toute l’humanité. »

« De meilleures conditions de vie par l’accès progressif aux soins et à l’éducation. »

« Certes, mais il ne faudrait pas occulter la face sombre. »

« Quelle est-elle ? »

« L’exploitation des personnes et des ressources naturelles de certains pays au profit d’entreprises multinationales ; des conflits armés qui s’éternisent ; la compétition économique forcenée entre les Nations ; l’accroissement des inégalités ; la misère endémique de certaines régions ; la financiarisation qui gouverne le Monde et impose son modèle destructeur ; l’individualisme et le repli sur soi face aux politiques de régression sociale des Etats… Tout cela invite sans détour à douter de l’universalité et des bienfaits de ce modèle, à court et à long terme. »

« Même si l’on considère l’amélioration globale des conditions de vie, depuis que l’histoire de l’humanité et les données statistiques existent ? »

« Le bilan globalement positif, je présume ? »

« Euh…Oui… »

« On peut effectivement considérer la progression globale de l’humanité au niveau matériel sécuritaire, y voir un développement et des avancées évidentes, considérer que des progrès restent à faire, qu’ils sont en cours et que cela demandera du temps. On peut observer tout cela… »

« Mais… »

« …mais subsiste cette course folle, impétueuse et rapide aux profits démesurés, que quelques personnes ont imposée en échafaudant la financiarisation de l’économie. Et les mêmes, se trouvant à la tête de patrimoines considérables aux ramifications internationales, dictent leur volonté aux gouvernants par l’intermédiaire des marchés financiers. Et l’on pourrait développer abondamment le sujet, mais restons-en là. »

« Oui, restons-en là. En fait, je suis d’accord, mais cela nous éloigne du sujet. Fonder une famille et vouloir lui offrir le meilleur, n’est-ce pas œuvrer dans le sens de la nature et du bien ? Donc de donner un sens véritable à son existence ? »

« Pour répondre à cette question, on va distinguer : "la famille", et "lui apporter le meilleur". »

« C’est un découpage en règle que tu proposes. Est-ce utile ? Cela semble évident ! »

« Ceci afin de mieux distinguer les éléments retenus, de les apprécier plus objectivement, et enfin de situer l’ensemble en perspective. »

« La famille, et d’abord la procréation, ça, c’est bien un phénomène naturel ! »

« On ne peut plus ! »

« Alors ? »

« Ce n’est pas le fait d’avoir ou non des enfants, de fonder une famille, de choisir de vivre seul ou en couple qui importe le plus. »

« Je ne comprends pas… »

« D’abord, la famille. »

« D’accord. »

« Bien évidemment, fonder une famille suppose l’union de personnes, et la procréation (l’adoption n’est qu’une formalité administrative, la procréation est simplement extérieure à cette union). On va donc considérer cet aspect comme une contribution de la nature, un fait biologique. »

« Rien à redire. »

« Quant à la cellule familiale en elle-même, elle dépend du modèle sociétal qui l’accompagne plus ou moins selon la politique sociale en vigueur (aides diverses, restrictions…) »

« Il suffit de s’informer sur les politiques familiales exercées dans les différents pays pour s’en convaincre aisément. »

« Maintenant la notion : "lui apporter le meilleur". »

« Cela coule de source ! »

« Si l’on ne précise rien de plus. Mais de quelle source s’agit-il ? »

« Le meilleur ! »

« Le meilleur dans un contexte donné, en l’occurrence, celui établi par le modèle sociétal. »

« Oui. »

« Ca se précise. »

« C’est-à-dire ? »

« Ce modèle est largement orienté, tendance "matérialiste" exacerbée, avec comme objectif "l’affirmation de soi". »

« D’accord, mais cela n’empêche pas de donner aux enfants une éducation réfléchie, avec les valeurs que l’on souhaite, de faire de la famille un axe de référence et de stabilité. »

« Cela n’empêche pas, mais la famille est incluse dans le modèle sociétal, et pour y briller, pour en tirer le meilleur (toujours selon les valeurs qu’il promeut) il faut se soumettre à ses critères. D’ailleurs, je reprends tes propos initiaux : " Je voulais fonder une famille heureuse et harmonieuse, avoir une bonne situation pour lui apporter la sécurité, le confort, le bonheur …". Le " bonheur" n’arrive qu’en troisième position, précédé par "la sécurité" et "le confort". »

« Oui, une erreur d’appréciation. »

« Ou le résultat d’un conditionnement sociétal, qui fait reconnaître et rechercher les valeurs essentielles prônées par ce modèle. »

« … »

« Il n’y a rien de narquois dans ce propos. Nous sommes tous intégrés dans ce modèle, et subissons les pressions qu’il exerce au quotidien. Essayons simplement d’en comprendre le fonctionnement. Peut-être parviendrons-nous alors à découvrir les liens subtils par lesquels il nous enchaîne. »

« Entendu. »

« Donc, l’existence peut se concevoir comme une interaction entre des personnes et un modèle sociétal, sachant que celui-ci s’est construit au fil du temps avec : l’assentiment, l’indifférence, l’hostilité, l’acceptation ou la contrainte du plus grand nombre. »

« La démocratie pour l’acceptation, et la dictature pour la contrainte. »

« Voilà pour définir le spectre de la représentation politique. »

« Concentrons-nous sur le modèle le plus représentatif, celui auxquels aspirent la plupart des personnes, et qui s’avèrent être le nôtre : la démocratie. »

« Naturellement, ne serait-ce parce qu’on le pratique de l’intérieur. »

« Logiquement, un tel système devrait s’adapter au mieux des intérêts de la population. Pour rappel : Démocratie :
« le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » (Abraham Lincoln). Mais, de fait, la réalité est autre. Rappelons la citation de Sieyès (l’un des théoriciens de la Révolution Française) : « Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. ». Et depuis plus de deux siècles, rien n’a changé »

« C’est certain ! »

« Ne nous laissons pas accaparer par le débat politique (j’ai l’air malin de dire cela après avoir introduit des éléments qui incitent à l’aborder), on se reprend, et on reste dans le descriptif pour comprendre. »

« Oui, comprenons. »

« Dans un tel régime, le peuple élit ses représentants. En retour, les élus doivent mettre en œuvre la politique attendue par les citoyens (présentation des programmes lors des campagnes électorales). On distingue trois pouvoirs dévolus à des institutions étatiques :

-      Législatif : les parlementaires votent les lois.
-      Exécutif : le chef de l’Etat et le gouvernement exécutent ces lois.
-      Judiciaire : différentes juridictions utilisent les lois pour régler les différends. »

« Ça, c’est la théorie. »

« Effectivement. Mais toutes ces institutions existent bien, et exercent leurs fonctions respectives dans un cadre légal et réglementaire parfaitement défini. »

« A t’entendre, on croirait que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ! »

« Bien sûr que non, et tu le sais bien ! »

« Alors ? »

« La société est un ensemble de parties n’ayant pas nécessairement les mêmes intérêts, et certaines d’entre elles gagnent en puissance. Elles trouvent alors une écoute attentive des pouvoirs publics. Par ailleurs, la démocratie représentative ne voit la population s’exprimer qu’à certaines échéances, confiant sa destinée aux autorités élues entre celles-ci. Enfin, il ne faut pas négliger les médias, devenus maître dans l’art d’influencer l’opinion, que ce soit pour des actes économiques ou politiques. »

« Que faire ? La révolution ? »

« Cela fut fait, par le passé, et continue, de-ci delà. »

« Et alors ? »

« Tu peux constater par toi-même. Certes, cela apporte des changements sociaux, mais avec le temps (tiens, on le retrouve encore celui-là !), la réaction se mobilise, les luttes d’influence reprennent, et la ronde du pouvoir se réorganise. Prenons l’exemple français : la Révolution a chassé l’Ancien Régime, la noblesse et ses privilèges. Les institutions actuelles sont un héritage de cette période. Si la noblesse de robe a bien disparu (nobles qui occupaient des fonctions gouvernementales sous l’Ancien Régime), que dire des hauts fonctionnaires, notamment  européens, et des élus protégés par leur statut ? »

« Donc, je repose la question : "que faire ?" »

« Se concentrer sur l’essentiel. »

« L’être humain ? »

« Oui, et plus encore. »

« ??? »

« Je comprends ton étonnement ! »

« On le serait à moins ! »

« C’est sûr ! »

« Alors ? »

« Avant de vouloir réformer les institutions, de s’enferrer dans le principe d’action et de réaction, qui ne gouverne pas seulement les lois de la physique, il convient de revenir à l’essentiel et se poser la question : "que sommes-nous ?" »

« Oui, que sommes-nous ? »

« Tu as bien une idée. A la base ? »

« Un corps. »

« Oui, mais encore ? »

« Une conscience. »

« Parfait ! Nous allons vraiment pouvoir avancer ! Bien que l’ensemble soit indissociable, nous allons séparer ces deux entités afin de mieux comprendre le tout. »

« D’abord le corps. »

« Très certainement. Celui-ci nécessite des besoins pour subsister : respirer, boire, manger, se vêtir et se loger. Sans cela, inutile de poursuivre les investigations. »

« Les trois premiers sont vitaux. »

« Sans aucun doute. Mais cela peut dépendre des circonstances. Ainsi, laissé nu en Arctique, un être humain mourrait de froid avant de mourir de soif ! »

« Un exemple extrême, bien sûr. Mais revenons au fait, et considérons l’ensemble des besoins cités satisfait, juste ce qu’il faut, afin que le corps fonctionne correctement. Ensuite ? »

« Lorsque les besoins du corps sont satisfaits, pour le reste, on vit dans sa conscience. »

« Bien. On évoque maintenant la seconde entité, composante a priori essentielle de l’être, la conscience. Démonstration de ce principe. »

« Rien ne vaut un exemple concret pour fixer les idées. On peut être à l’aise dans un studio (appartement constitué d’une seule pièce principale avec les dépendances classiques (salle de bains, cuisine, WC) et se trouver à l’étroit dans un château. Résidant dans un château de 1 000 mètres carrés, on est invité dans une autre demeure de ce type s’étendant sur 2 000 mètres carrés, et disposant d’infrastructures de confort et de bien-être supplémentaires. Puis, retournant dans sa résidence, on peut éprouver un sentiment de frustration. »

« Oui, et cela ne doit rien à la notion d’espace. Tout procède du ressenti, de la  comparaison des perceptions vécues dans les différents lieux, enregistrées et conservées par la mémoire. L’ensemble se passe bien dans la conscience. Et à partir de cet exemple, il est possible de multiplier les expériences dont la résolution n’intéresse que la conscience, indépendamment de l’espace, du temps et des circonstances. »

« Voilà. Juste une précision : s’agissant des circonstances, pas comme éléments se rapportant à l’expérience vécue, mais de leurs perceptions subjectives, notamment émotionnelles. »

« On tient donc ici la clé susceptible d’ouvrir la première porte donnant accès à notre identité véritable : sommes-nous simplement une personne à la recherche du reflet que nous renvoie le miroir du modèle sociétal, et qui se satisfait de l’avoir trouvé, ou bien autre chose de plus ancré, de plus profond ? En abordant ce questionnement par une identification avec la conscience, on met à jour deux voies essentielles : l’une, libératrice, l’abandon immédiat du schéma sociétal ; l’autre, magistrale et sans limite, la connaissance de soi ! Il conviendrait donc, comme on aime à le faire pour un lieu d’habitation, d’aménager au mieux sa conscience, cela, afin d’y vivre le plus confortablement possible. »

« Tu as compris l’essence même de ce propos. »

« Et comment faire pour organiser au mieux "l’espace"  de cette conscience ? »

« Il y aurait beaucoup à dire. »

« Fais une synthèse, afin d’assurer les fondations, d’édifier une  base solide. »

« Il est vrai que cela en vaut la peine. »

« Pour le moins. »

« D’abord le cerveau :

En effet, la conscience subit l’influence du cerveau.

Pour rappel :

Le cerveau est l’aboutissement d’une évolution. Il contient en lui trois structures apparues à des époques différentes de l’évolution de la vie.
La partie reptilienne gérant les fonctions vitales.
La partie mammalienne, essentiellement consacrée aux émotions.
Le néocortex, siège de la pensée, de l’intelligence.

On peut ainsi définir des consciences liées à ces trois parties cérébrales, tout en affirmant que le cerveau et la conscience sont un.

On définira donc :

La conscience instinctive : indépendante de la volonté.
La conscience émotionnelle : l’une des plus sollicitées dans le modèle sociétal.
La conscience intellectuelle. »

« Tu as fait la relation entre la structure évolutive du cerveau et les différents niveaux de conscience que l’on peut établir et identifier au développement cérébral. A ce stade, comment utiliser cet acquit ? »

« Pour le différencier des autres mammifères, classe à laquelle il appartient, on a dit de l’être humain : "Qu’il était conscient d’être conscient". Utilisons donc cet énoncé, même s’il y aurait beaucoup à dire. »

« Quoi, par exemple ? »

« Une piste, les mammifères marins (Baleines, Orques, dauphins…), et il en est d’autres, mais ce n’est pas notre propos. »

« Alors retournons à ce propos ! »

« Avoir la conscience d’être, de s’observer soi-même, seul ou au travers des relations sociales, mène au libre arbitre, à l’expression de la volonté et au désir de changer sa nature. Ce sera le véritable point de départ. Il y a la perception de l’état de conscience dans lequel on se trouve, et cet état qui peut nous définir  complètement. »

« Tu peux préciser, j’ai perdu le fil tout d’un coup. »

« Oui. Désolé, je m’emballe ! L’état qui nous définit complètement, c’est le fait d’être tellement impliqué dans une situation, une action que l’on perd tout recul par rapport à celle-ci. Deux circonstances possibles : une concentration intense dans l’événement ; des actes habituels commandés de façon inconsciente. Naturellement, la perception dans l’action suppose l’agissement couplé avec l’observation sereine de ce que l’on fait. Est-ce plus clair ? »

« Oui. Tu peux continuer. »

« Cela va nous permettre de faire un état des lieux, précieux pour agir en conscience, ce à quoi le questionnement entrepris devait nous amener logiquement. »

« Quelle est cette implication logique ? »

« Nous sommes arrivés à la conclusion que nous vivions dans notre conscience. A partir de ce point, il devient possible d’avancer le développement suivant :

-      Aménager au mieux cette conscience.
-      La conscience s’exprime par la pensée.
-      On peut distinguer deux types de pensées : conscientes et inconscientes.
-      Elles peuvent se présenter de façon organisée ou parasite.
-      Il faut donc : privilégier les pensées conscientes ; réduire la production de pensées parasites.

« Et comment y parvenir ? »

« Naturellement, en utilisant une fonction essentielle de la conscience. »

« C’est le tout en un ! »

« Voilà ! Il suffit de savoir où chercher. »

« Et quelle est cette fonction ? »

« L’attention. »

« C’est tout ? »

« Attends de voir. »

« J’attends. »

« Ça va être un peu long… »

« J’attends toujours ! »

« Voici donc le plan pour tenter de cerner au mieux l’attention et ses effets :

Etre attentif, c’est élargir le champ de conscience, être dans la simple perception et dans l’action.

Mais avant d’évoquer les effets de l’attention, il faut absolument distinguer l’attention de la concentration :

Si la concentration s’avère également une condition nécessaire pour s’ancrer dans l’action, elle n’agrandit pas le champ de conscience, mais le restreint considérablement.

Voici un exemple concret pour fixer les idées sur ce sujet :

Un homme marche dans la rue, l’esprit concentré sur son allure et les alentours. Il remarque qu’une personne placée face à lui s’avance dans sa direction, mais absorbée dans la lecture de sa tablette, elle ne le voit pas. L’attitude concentrée permet d’anticiper l’action : si aucune des deux personnes ne corrige sa trajectoire, le heurt s’avèrera inévitable.
La personne concentrée décide donc de se déplacer, non sans formuler des pensées négatives à l’encontre de ce passant distrait.
Situation identique, où cette fois l’homme n’est plus concentré, mais attentif. Il se déplacera également pour éviter le choc, mais sans aucune pensée malfaisante à l’égard de la personne. Comment cela est-il possible ? Voyons les effets de l’attention.

Effets de l’attention :

L’attention place la conscience ordinaire en retrait. La conscience ordinaire, nommée ainsi car utilisée au quotidien, comprend les émotions et l’intellect. En l’occurrence, c’est surtout la partie émotionnelle qui doit être gérée, car elle peut se manifester à tout moment, sans être sollicitée, et s’impose très facilement. »

« J’ai une question. »

« Oui. »

« Si l’on privilégie l’attention, d’accord pour restreindre la production émotionnelle, mais si elle limite également l’intellect et la réflexion, quel intérêt ? »

« Effectivement, un point important à préciser. Il s’agit de la mise en retrait des pensées parasites. Si celles-ci sont pour l’essentiel de nature émotionnelle, l’intellect en produit également. Par exemple, lorsque l’on se complaît à refaire le film d’événements passés à partir d’une pensée qui se manifeste spontanément au mental, et dont on tire le fil indéfiniment. C’est en cela que l’attention agit sur cette partie de la conscience ordinaire. Par ailleurs, en faisant place nette des pensées parasites qui encombrent l’espace mental, elle facilite au contraire le travail de la pensée constructrice. Un peu comme dans un paysage, où l’on passe d’une forêt touffue à une clairière. »

« D’accord, j’ai compris. »

« Je reviens aux effets de l’attention :

En limitant l’activité des émotions, elle agira également sur l’ego, très en lien avec la conscience émotionnelle. Cela va réduire, voire supprimer l’identification aux situations conflictuelles, comme se faire insulter, par exemple. Dans ce cas, le problème surgit lorsque l’on s’identifie à l’insulte proférée, ouvrant la voie à une réaction en chaîne qui peut facilement dégénérer.

A ne pas négliger non plus, l’incidence corporelle : lorsque l’attention s’installe au quotidien, on perçoit plus aisément les tensions musculaires qui parcourent et affectent le corps. Et l’attention dans la ou les zones concernées permet de les dissiper rapidement. »

 « C’est très bien tout cela. Mais être attentif, et non pas concentré ne s’acquiert pas spontanément, même si l’attention est une fonction inhérente de la conscience, comment l’aborder, et surtout la maintenir aisément ? »

« Très bonne question, j’y arrive :

Attention et respiration consciente :

La respiration est l’une des rares fonctions du corps qui peut être à la fois consciente, ou inconsciente (le plus souvent). Elle se trouve donc en phase avec les deux aspects de l’être que recouvre la conscience : partie inconsciente, partie consciente.
Par ailleurs, indispensable, elle est accessible à tout moment.
Contrôlée, ses effets sur le corps et le psychisme sont remarquables : c’est un pont privilégié pour accéder naturellement à l’attention.

Pratique de la respiration consciente :

-      Inspirer consciemment par le nez, de façon fluide et constante, jusqu’à cessation naturelle du mouvement par insuffisance de la force d’inspiration.

-      Expirer consciemment par le nez, de façon fluide et constante, jusqu’à cessation naturelle du mouvement par insuffisance de la force d’expiration.

-      Trois éléments nous renseignent sur l’efficacité de cet exercice : la respiration est silencieuse ; le passage d’un mouvement à l’autre - inspiration, expiration - se fait naturellement, et non provoqué par un besoin physiologique ; on peut maintenir cette respiration consciente aussi longtemps qu’on le souhaite, et sans fatigue.

Voilà, ces quelques éléments devraient permettre :

D’aménager au mieux l’espace de la conscience, donc « d’y vivre confortablement ».

De conscientiser :

-      Conscientiser, c’est mettre en forme dans la conscience afin que les actes qui suivent la pensée ne provoquent pas de réactions émotionnelles intempestives.

-      C’est ainsi qu’il faut d’abord changer de niveau de conscience avant d’entreprendre une recherche personnelle.

-      Lorsque le changement de niveau de conscience est bien installé, l’être agit spontanément dans la compréhension de façon naturelle : il se produit une sorte de saut de conscience entre la pensée et l’acte.

De vivre dans le modèle sociétal, mais de ne plus être du modèle sociétal. 

« Merci. Cela fait beaucoup de choses à assimiler. Mais je vais m’y mettre progressivement. »

« Ah, j’oubliais. Maintenant que l’on dispose des outils pour vivre en conscience, voyons ce qu’il en est lorsque l’on est confronté au modèle sociétal. Cette thématique pourrait s’appeler : "La descente de la conscience, ou les trois niveaux d’appréciation" :

-      Premier niveau : conscience.

-      Deuxième niveau : l’expérience de conscience.

-      Troisième niveau : l’objet de l’expérience.

Voici un exemple pour bien appréhender cette notion :

On peut être très attaché aux possessions matérielles, la conscience permet cela (premier niveau), puis on réalise l’expérience de l’attachement (deuxième niveau), enfin les possessions elles-mêmes constituent l’objet de l’attachement (troisième niveau).

La règle et l’opération : pour apprendre à faire des additions, il est besoin de connaître les nombres et les règles de calcul appropriées. Une fois cela acquit, on pourra additionner indifféremment n’importe quels nombres, quelle que soit leur grandeur.

Dans un modèle sociétal qui accorde une importance prédominante aux possessions, l’opération prévaut le plus souvent sur la règle : opérer sur quelques euros ou plusieurs millions peut modifier facilement les "règles mentales". Mais la puissance de l’attachement peut stimuler la conscience émotionnelle à l’identique pour des opérations exécutées sur des montants très inégaux.

Le modèle sociétal dans lequel nous baignons est puissant, les vagues qu’il engendre nous submergent facilement, et le troisième niveau, à lui seul, éclipse aisément les deux autres : obnubilé et fasciné par l’objet, nous oublions ce qui conditionne ce comportement, et ignorons totalement le fait premier, la conscience, tellement éloignée de nos préoccupations présentes (comme quoi, l’instant présent, des fois…).

Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour revenir à l’essentiel, sauf si l’on est attentif, alors le chemin se résorbe pour n’être plus qu’un point ! »

« Pendant que tu expliquais, plusieurs questions me sont venues à l’esprit. »

« Alors, n’hésite pas, pose-les ! »

« Que penses-tu de l’argent ? »

« Vaste sujet ! La monnaie s’impose dans toutes les strates de la société. Normal, celle-ci repose sur le matérialisme et l’économie en organise les différents rouages afin de permettre les échanges. »

« A priori rien de pernicieux, bien au contraire, cela favorise et facilite les échanges. »

« Dans une société qui respecte et privilégie l’humain, ta remarque s’inscrirait parfaitement. »

« Et ce n’est pas le cas ? »

« C’est une boutade ? »

« Une figure de style pour relancer l’argumentaire. »

« Pas mieux ! A la base, la société est matérialiste et marchande, tout s’achète et tout se vend, il est donc primordial de posséder de la monnaie pour subsister. Il y a donc d’abord la nécessité de se procurer de l’argent. Pour cela,  il y a le travail. »

« Alors, d’où vient le problème ? »

« Plusieurs pistes : la société dans laquelle nous évoluons est à risques multiples (perte d’emploi, maladie, accident, risques naturels, agression…), de là une aspiration naturelle de se protéger, de se sentir en sécurité, et l’argent, c’est un moyen de se sécuriser ; c’est également une société du désir, si "la meilleure façon de marcher, c’est encore la nôtre", la meilleure façon d’acheter, c’est toujours la leur, ceux qui récoltent et amassent les bénéfices de cet acte économique, œuvrant pour le rendre compulsif (publicité, neuromarketing), soit quand il prend directement sa source dans la conscience émotionnelle ; enfin, l’argent, c’est le pouvoir, la capacité de se hisser en haut de la pyramide, de régner sur la multitude. »

« En effet. »

« Les conséquences : quelle que soit notre position sur l’échelle sociale, de la base au sommet de la pyramide, l’argent nous concerne ; il est donc très difficile de s’en départir, et les liens entre argent et conscience sont très puissants. Que se passe-t-il alors ? L’identification entre conscience et argent est telle que cela peut créer une personnalité dépendante des mouvements de fonds enregistrés sur les différents comptes (banque, épargne…). Ainsi, une perte d’argent aura un impact psychique, sera vécue comme un véritable déchirement de l’être, même si l’on dispose d’un patrimoine susceptible d’assurer plusieurs existences. On voit ici le travail accompli de la conscience émotionnelle. »

« Comment changer son rapport à l’argent ? »

« L’argent est nécessaire dans le modèle sociétal actuel, ne serait-ce que pour subvenir aux besoins fondamentaux, ceux du corps. Au-delà, on revient sur ce qui a déjà été dit. C’est peut-être radical comme propos, mais cela rappelle la dualité entre modèle sociétal et conscience. Donc, en privilégiant la conscience, l’être au détriment de l’avoir, il n’y aura plus de dépendance avec l’argent. »

« Pourrais-tu donner un exemple significatif d’opposition entre le modèle sociétal matérialiste et un modèle qui reposerait sur la conscience ? »

« Le droit de propriété. »

« Tu peux détailler. »

« Dans une démocratie, il existe une hiérarchie des lois et des autorités chargées d’appliquer le droit. Le premier échelon législatif émane des articles de la Constitution. C’est ainsi que le droit de propriété est considéré comme un droit naturel, inscrit dans son préambule et garanti par la Constitution française. Il est également protégé par le premier article du protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’Homme. Si l’on s’en tient là, cela semble une bonne chose. »

« Je confirme. »

« Considérons les biens immobiliers, qui sont inclus dans ce droit de propriété. Se loger est une nécessité, mais l’accès à un logement s’avère de plus en plus difficile, pas seulement comme propriétaire, les locataires restent souvent démunis devant les effets de la spéculation immobilière et les exigences des bailleurs. Dès lors, que pèse une conscience, face au système politico-économico-juridique ? »

« C’est-à-dire ? »

« Dans l’ordre : les politiques inscrivent le droit de propriété en bonne place parmi les actes protégés ; l’économie encourage et facilite la compétition et la spéculation sur la finance, les biens et les emplois ; les instances juridiques, aidées par les forces de police, font respecter la loi, comme le fait de déloger des personnes sans-abri qui occupent des locaux inoccupés. »

« Serais-tu un adepte des théories de Proudhon (Économiste et philosophe français : 1809-1865) qui affirmait que : "La propriété, c’est le vol" ? »

« Non, et à quelque théoricien que ce soit en matière de politique, d’économie, de société, de philosophie, de religion ou de spiritualité. »

« C’est dit ! Et tant qu’à faire, autant ratisser large ! »

« Comme tu me l’as demandé, j’ai montré un exemple où il y avait incompatibilité entre notre modèle sociétal et l’être humain en tant que conscience. Sur ce fondement, toutes les consciences sont identiques et méritent la même compréhension, les mêmes égards. C’est le système sociétal qui les différencie, les évaluant à l’aune des valeurs qu’il érige. En outre, il ne peut y avoir d’incitation à la révolte lorsqu’il s’agit de conscience : affirmer la primauté de cette dernière, en comprendre les mécanismes, effectuer un travail de changement de niveau de conscience, cela se décide seul et se pratique seul. C’est clair ? »

« Très clair. Une question sur l’ego, que l’on accable de tous les maux. Il fut pourtant, et continue d’être un moteur formidable de progrès (inventions, entreprises…) »

« L’ego a surtout permis à l’économie d’être le centre de la mondialisation, tout s’y rattache. Créant le principe de l’actionnariat pour stimuler les entrepreneurs, faire croître l’outil de travail, elle s’acharne désormais à détruire ce principe par la financiarisation à outrance, la spéculation sur des produits complètement déconnectés de l’économie réelle, mais l’impactant de plein fouet avec des conséquences désastreuses pour les acteurs historiques : entrepreneuriat, salariat. Une autre société est possible, basée sur le respect mutuel, le partage, la compréhension et la compassion. Simplement, elle est toujours en devenir. Vivre selon ces principes est possible. Pour cela, il faut d’abord changer soi-même, placer la conscience émotionnelle en retrait. Alors on devient naturellement la goutte d’eau d’un futur océan que l’on ne verra jamais ! »

« Donc, vouloir le meilleur pour sa famille, c’est mal ? »

« Le meilleur, comme tu l’exprimais, c’est : "Avoir une bonne situation pour lui apporter la sécurité, le confort, le bonheur ". Ce n’est pas mal en soi, bien évidemment. Mais cela réplique les valeurs du modèle sociétal, l’entretient et le pérennise. Ce modèle dont on connaît les excès. »

« Alors tu suggérerais, par ailleurs, d’instruire les enfants sur le rôle essentiel de la conscience ? »

« Oui, ce que l’on a évoqué ensemble sur ce point. Et lorsqu’ils en auront la compréhension, ils choisiront leur voie. »

« Que peut-on faire d’autre ? »

« Vivre ce que l’on enseigne. »

« Ah oui, bien sûr ! Et si le thème de la discussion avait été : "J’ai réussi ma vie !" »

« Allons directement à l’essentiel : est-ce qu’une conscience peut être fière d’une conscience ? »

« Oui : d’elle-même, ou d’une autre personne. Par exemple, être fier de ses enfants, de leur façon de se comporter, de leur réussite. »

« La fierté renvoie à la conscience émotionnelle, sa stimulation, son renforcement. Et puis, le comportement n’est pas systématiquement lié à l’éducation reçue, tous les cas sont possibles : bonne éducation > bon ou mauvais comportement ; mauvaise éducation > mauvais ou bon comportement. Donc, cela ne change rien sur le fond. Mettre la conscience au premier plan reste la base, après, le reste est affaire de gestion des émotions. »

« Oui, mais pour moi, au vu de ma situation, c’est terminé. Je ne puis que regretter de n’avoir pas agi correctement, les choses auraient été différentes. »

« Il n’existe aucune force dans l’Univers qui peut faire que ce qui fut ne l’a jamais été, cela c’est pour le passé. Mais je peux changer à tout moment, ça c’est pour le présent. Tu peux donc décider, par le libre arbitre et la volonté, de vivre dorénavant en conscience, de conscientiser. »

« Mais cela ne changera en rien au fait que mes enfants m’ignorent. »

« Modifie ta façon d’être. Si les aléas de l’existence te remettaient en contact avec eux, ou si tu agissais en conséquence pour que cela advienne, tu verras bien ce qui se passera. Vivre en conscience te permettra de leur tendre la main, et d’accepter qu’ils refusent ce geste. Peut-être ne sont-ils pas prêts, mais peut-être aussi que ce changement de conscience qui t’habite aura déposé en eux un germe qui le moment venu s’épanouira. »

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