Texte lu
Christian :
« Il y a quelque temps que je ne médite plus...Pourtant, cela me fait du
bien... »
Patrick :
« Rien n’est jamais acquis, tout subit les aléas du mental. »
« Ce n’est
pas une erreur ? »
P : « Comment ? »
« Le prénom,
Christian, d’habitude c’est Claude ! »
P : « Non.
Je confirme, c’est bien Christian, un ami de quarante ans. »
« Mentionner
ici une « amitié de quarante ans » n’est-il pas contradictoire avec
le fait de considérer les êtres comme des consciences, qui certes se
différencient par leurs expériences, mais sont identiques en tant que tel (la
Conscience) ? »
P :
« Non. C’est factuel. »
« Je ne vais
pas lâcher si facilement, après tout ce que tu as écrit et dit sur le sujet.
Etre attentif place la conscience émotionnelle en retrait. Or, ce qui
caractérise une amitié résulte essentiellement de sentiments liés aux émotions,
et lorsque cela s’inscrit dans une telle durée, comment résoudre ce
paradoxe ? »
P : « le
paradoxe n’existe qu’en fonction de la grille de lecture des événements. La
distinction : relations, copains, amis, auxquels on ajoute le critère de
durée, fait sens dans un contexte bien déterminé, notamment dans le modèle
social, culturel et moral où nous baignons quotidiennement. Un modèle reposant
largement sur la conscience ordinaire, donc de nature quasiment émotionnelle
concernant le sujet évoqué. Etre attentif permet de substituer la sensibilité
aux émotions. »
« Tu n’as
pas vraiment répondu à la question ! »
P : « Il
me semblait pourtant. Bon, je vais détailler. »
« Ah, on va
enfin peut-être savoir ! »
P : « L’amitié
se construit à partir d’affinités entre les personnes. Celles-ci se cultivent
au fil du temps, c’est ainsi qu’on peut le mesurer (on évoquera alors une
« amitié de quarante ans »). Lorsque l’attention préside à la manière
d’être de l’une ou l’autre des parties, la sensibilité se substitue aux
émotions... »
« Et cela
change quoi ? »
P :
« Le primordial : à partir d’un certain degré d’attention, les
émotions (disons négatives pour fixer les idées, bien qu’il y aurait à dire sur
ce qualificatif) ne peuvent altérer, reconsidérer, voire détruire la
relation. »
« D’accord,
mais alors les relations perdurent quoi qu’il advienne ? »
P :
« Non, rien n’est permanent. La relation peut être rompue unilatéralement,
d’un commun accord, ou se distendre jusqu’à disparaître selon les aléas de
l’existence, mais, je le répète : cela ne saurait être dû par l’intrusion
de pensées émotionnelles dans la conscience de la personne qui cultive
l’attention. »
« J’ai
compris...Et sur la notion des émotions négatives ? »
P : « Pour
ne pas alourdir le thème initial, j’aimerais aborder ce sujet ultérieurement.
Cela ne te dérange pas ? »
« Non, je te
le rappellerais à l’occasion. »
P :
« Parfait ! Reprenons ce dialogue avec Christian. Donc, tu es en
panne de méditation !»
Ch. :
« Oui, on peut dire cela comme ça ! »
P :
« Ce n’est pas un problème, bien au contraire ! »
Ch. :
« Ah bon ? »
P :
« Oui. Et nous allons voir pourquoi. »
Ch. :
« J’ai hâte... »
P. :
« Méditer est une activité parée de nombreuses vertus, et le temps qui
passe apporte régulièrement des études sérieuses pour confirmer cela.
Mais... »
Ch. :
« Mais...diter ! »
P :
« C’est un bon début ! »
Ch. :
« Je m’entraine ! »
P :
« Cela promet ! »
Ch. : « Et
donc, que se cache-t-il derrière cette réserve ? »
P : « La
méditation est tout un art en soi, elle nécessite : un moment choisi, un
lieu approprié, une posture adaptée, une attitude mentale pertinente. Une fois
toutes ces conditions réunies, il convient de suivre un schéma particulier, qui
consiste le plus souvent à ne pas se laisser distraire par les pensées qui se
présentent dans le champ du mental. »
Ch. : « C’est
bien résumé, effectivement, et que pourrait-on y déceler de
subversif ? »
P :
« Subversif n’est pas le qualificatif qui conviendrait à cette pratique.
Comme cela fut largement démontrée, cette pratique apporte de nombreux
bienfaits, tant au fonctionnement optimum de l’organisme qu’au cerveau. »
Ch. :
« Et alors ? »
P : « L’existence
est généreuse et pleine d’imprévus, elle nous gratifie de multiples expériences
qui éprouvent notre contenance et notre patience dans les situations et les
circonstances les plus diverses. Face à cela, nous opposons un rituel codifié,
figé dans l’espace et dans le temps. L’effet de surprise joue constamment contre
nous. »
Ch. : « Et
après, porté par les échecs et la lassitude qui s’ensuit on déclare : « Il y a quelque temps que je ne médite
plus ». »
P : « C’est
lucide et courageux de l’admettre. »
Ch. : « De
rien. Si je pouvais en apprendre davantage sur le sujet... »
P :
« Voyons ensemble. Tu es d’accord qu’il est préférable d’agir en
situation, plutôt que de compter sur la pratique régulière d’une méditation
quotidienne ? »
Ch. « Oui. »
P : « Un
grand pas vient d’être franchi ! »
Ch. « Si
tu le dis ! »
P. « Je
le dis. Oui ! »
Ch. « Je
t’écoute. »
P : « Il
faut donc œuvrer au quotidien, déployer une attitude mentale susceptible de
restituer celle de la méditation, et cela, aussi bien dans les tâches à
accomplir que dans les situations stressantes. »
Ch. : « Pas
facile ! »
P : « Nous
sommes bien d’accord sur ce point ! »
Ch. : « Alors ? »
P : « Allons-y
progressivement. Mais d’abord, comment adopter une attitude méditative dans les
expériences qui rythment notre quotidien ? »
Ch. : « Ah
ça, je sais ! Etre attentif ! »
P : « Bravo !
»
Ch. : « Je
n’ai aucun mérite, à chacune de nos conversations je me demande combien de
temps te faudra-t-il avant de prononcer le mot
« attention » ! »
P : « Je
plaide coupable... »
Ch. : « Tu
es absout, je sais que c’est pour mon bien ! Donc, la méthodologie
étant connue, comment l’adapter aux circonstances ? »
P : « En
allant du plus simple au plus complexe. »
Ch. : « Descartes
n’aurait pas dit mieux ! »
P : « Tu
me places en prestigieuse compagnie ! »
Ch. : « C’est
pour susciter des réponses inspirantes. »
P : « Je
vois. Je vais tâcher d’en être digne. Je propose donc trois situations
progressives. »
Ch. : « La
première. »
P : « Etre
attentif dans des conditions optimales : durant une promenade dans un lieu
propice à la détente (parc, forêt...), et par une belle journée ensoleillée. On
pourra naturellement utiliser la respiration consciente s’il est difficile
d’être simplement attentif. »
Ch. : « Entendu.
La deuxième »
P : « Choisir
une tâche facile, voire routinière, mais que l’on considère avec ennui, et
l’aborder avec attention. »
Ch. : « Oui.
Reste à trouver lesquelles. »
P : « J’ai
un parfait exemple ! »
Ch. : « Ah
bon ? »
P : « Oui.
Préparer la sauce d’accompagnement des plats. »
Ch. : « Je
le fais bien volontiers. »
P : « Certainement
en pensant à autre chose, et en quantité suffisante pour ne s’y atteler qu’une à deux fois par semaine. Après tout,
les réfrigérateurs sont faits pour cela ! J’ai une preuve : ce que tu
m’as avoué, la dernière fois que tu es venu mangé à la maison et que tu
préparais justement cette sauce ! »
Ch. : « Difficile
d’affirmer le contraire. Mais bon, il y a tellement de choses plus
intéressantes à faire ! »
P : « Je
n’en disconvient pas. Mais il semble important de préciser par la suite la
notion « d’intérêt » et ce qu’elle implique. »
Ch. : « Et
comment tu vois les choses ? »
P : « Très
simplement : chaque jour, en début de préparation du repas, réunir les
ingrédients nécessaires à la confection de la sauce, suivre les étapes de
l’élaboration avec attention. Cela permettra : de ne pas se blesser, de
mesurer les composants avec précision, de réaliser cela sans ennui, de
bénéficier chaque jour des meilleurs nutriments de par leur fraîcheur. »
Ch. : « Je
vais essayer. Et la troisième ? »
P : « Lorsque
l’on est confronté à une situation stressante. Il faut alors mobiliser
immédiatement les ressources de l’attention pour ne pas se trouver sous emprise
de la conscience émotionnelle. Outre que l’on ajoute pas ainsi des tensions
supplémentaires provoquées par notre propre ressenti, on conserve la lucidité
indispensable pour gérer au mieux cette conjoncture problématique. »
Ch. : « Plus
facile à dire qu’à faire ! »
P : « Tout
à fait. Mais c’est avec la pratique et l’expérience que cela finira par être
possible. D’autant plus si l’on s’y emploie régulièrement dans les situations
évoquées précédemment. »
Ch. : « Bon.
Je vais voir, et je te ferai un compte-rendu. »
P : « Merci,
mais c’est surtout pour toi. »
Ch. : « Hélas !...Je
sais...Ah oui, j’allais oublier : la notion d’intérêt et ce qu’elle
implique ? »
P : « Ah
oui. Merci de me le rappeler, c’est très important. »
Ch. : « Je
sens que ça va être un peu long !... »
P : « Possible,
mais c’est justifié. »
Ch. : « Bon.
Bah, allons-y... »
P : « Une
bonne façon de revenir à l’essentiel : la conscience nous unit, les
expériences de conscience nous séparent. »
Ch. : « Hou
là, ça commence fort ! Quelques explications. »
P : « La
conscience définit les êtres au sens fondamental : nous sommes avant tout
une conscience, quel que soit le sens que l’on attribue à cette notion. Au
niveau primordial, la conscience est unique. C’est par la suite qu’elle se
diversifie et se différencie, accumulant des connaissances (éducation, culture,
apprentissage, conditionnements...) et des expériences. »
Ch. : « Jusque-là,
d’accord. »
P : « Pour
une conscience, tout est expérience, de la moindre perception à la réflexion la
plus élaborée. On peut considérer chacune de ces expériences comme une mise en
vibration de la conscience, sinon nous serions comme des pierres sur le chemin.
»
Ch. : « Donc,
au cours d’une promenade en forêt, si nous buttions sur une pierre placée sur
notre chemin, cela serait une expérience de conscience ? »
P : « Oui.
Non pas pour le pied, quoi que, mais certainement pour la conscience qui
réagira, tout particulièrement lorsque sa partie émotionnelle se manifeste avec
vigueur ! »
Ch. : « Effectivement... »
P : « Les
expériences de conscience ont ceci de commun, c’est de placer la conscience
ordinaire au premier plan. Pour rappel, la conscience ordinaire comprend :
la partie émotionnelle et l’intellect. »
Ch. : « C’est
normal, comment faire autrement ? »
P : « C’est
normal qu’elles interagissent, parce que faisant partie du processus
d’élaboration de la pensée par le cerveau, mais qu’elles se manifestent au
premier plan est une autre histoire ! »
Ch. : « Qu’est-ce
que tu veux dire ? Je ne comprends pas ? »
P : « Les
expériences de conscience se déroulent pour la plupart dans le mode :
action / réaction. Et dans cette perspective, les couches de la conscience
ordinaire sont fortement impliquées. Il suffit pour cela d’observer les
différents comportements des personnes au quotidien, et mieux encore, les nôtres !
On réagit plus que l’on agit sereinement. »
Ch. : « Oui.
Bien-sûr...Mais peut-on faire autrement ? »
P : « En
abordant ces expériences par la conscientisation. »
Ch. : « Ce
qui signifie ? »
P : « Etre
attentif. »
Ch. : « Impossible
d’y échapper, semble-t-il ? »
P : « L’attention
est une capacité naturelle, qu’il faut certes cultiver, mais faisant partie des
propriétés de la conscience. Son aptitude à placer la conscience ordinaire en
retrait provoque immédiatement un changement de niveau de conscience. »
Ch. : « Et
c’est ainsi que l’on passe, tout aussi promptement, des expériences de
conscience à la conscience elle-même ! »
P : « Tout
à fait ! »
Ch. : « Et
donc, si je te suis bien, l’ennuie, l’agacement, que l’on éprouve dans
l’accomplissement de certaines tâches se dissipent comme par miracle ? »
P : « Pas
par miracle, mais tant que l’attention perdure, oui...Comme préparer une sauce,
par exemple ! »
Ch. : « Merci
bien. je vais m’y atteler ! »
P : « De
rien. J’espère que cette conversation te permettra de gagner en compréhension,
plaçant ainsi la conscience sur des chemins évolutifs. C’est le souhait formulé
après quarante ans d’amitié. »
Ch. : (laisse
échapper un sanglot)
P : « Qu’entends-je ?
Que vois-je ? Un sanglot à peine contenu, une larme qui perle au coin des
yeux ! »
Ch. : « Je
suis désolé. Qu’y puis-je, c’est plus fort que moi... »
P : « Encore
une fois, il s’agit simplement d’une traduction émotionnelle. Si tu le permets,
je souhaiterais conclure sur un point qui me semble important, car il est
crucial dans le plan évolutif de la conscience, et son application est bien mal
comprise, voire reniée dans notre modèle sociétal. »
Ch. : « Vas-y,
je t’en prie. »
P : « Il
est très difficile de se départir de cette attitude car elle se situe à un
carrefour stratégique de la conscience ordinaire : la conscience
émotionnelle, souvent remplie à ras-bord, déborde facilement (les
larmes) ; la conscience de la raison, édifiée par l’environnement
socioculturel : afficher ses émotions, et notamment, pleurer pour un
homme, s’avère être un signal puissant démontrant la reconnaissance et la
gratitude. »
Ch. : « Que
faire ? Devenir un monstre froid ? »
P : « Bien-sûr
que non. Simplement, substituer la sensibilité à l’émotion. »
Ch. : « Simplement ?
»
P : « C’est
une entrée en matière. Mais par la suite, avec la pratique, cela deviendra
simple car naturel. »
Ch. : « Dans
la situation que je viens de vivre, comment se comporterait une personne guidée
par la sensibilité ? »
P : « Ressentant
les prémisses d’une manifestation émotionnelle, elle recourt à l’attention pour
atténuer, voire supprimer cet état (invitant la respiration consciente si
l’attention seule ne suffit pas). Alors la compréhension des mots qui
suscitèrent cela la laisse dans l’écoute pour en apprécier toute la substance,
sans débordement égotique. La gratitude peut prendre alors la forme d’un
sourire doux et apaisant qui se dessine graduellement sur son visage. »
Ch. : « Bon,
bah maintenant : la pratique ! »
P : « Il ne
saurait y avoir meilleure conclusion ! »