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15/05/2012

15. Une croisière en paquebot

     Texte lu



     Imaginons un paquebot, le plus grand des navires qui n’est jamais navigué. A son bord, un nombre considérable de passagers qui, ayant choisi par avance les destinations de la croisière, n’interfèrent aucunement dans l’itinéraire.
     Un équipage participe activement à la destinée du bateau, mais sous l’autorité de quelques personnes désignées pour leur expérience et leurs compétences en matière de navigation.

     D’abord, tout est tranquille et paisible. Chacun trouve et accepte sa place dans cette collectivité structurée. Et puis, il n’y a aucune raison de s’inquiéter, et même de réfléchir, il suffit de se laisser porter par les événements au quotidien.
     Puis, au fil du temps, et surtout du ressenti des uns et des autres, un sentiment diffus, non identifiable mais perceptible, se répand dans la population. Même si la direction du navire perçoit ce frémissement, elle n’en tient pas compte et maintient le cap.
     Dorénavant, cette impression se mue en malaise, gagnant également en intensité. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’un commandement avisé, soucieux de connaître la cause de ce trouble général pour tenter d’y remédier, cela ne fait que renforcer sa conviction, certain de prendre les bonnes décisions car disposant d’informations privilégiées et de la compétence requise pour gérer ces turbulences.

     Parmi la population qui subit, les réactions sont disparates : entre confiance aveugle et opposition forcenée pour une fraction minoritaire, la majorité oscille entre indifférence et crainte du changement (cela pourrait être pire !), s’accrochant fermement à ce qui fût et qui n’est plus, un mode de vie rogné régulièrement par de nouvelles dispositions légales, comme à une bouée salvatrice dans des eaux houleuses.
     Si ce sentiment d’inquiétude persistait dans le temps, il serait fort possible que le « frémissement » gagne suffisamment de personnes pour engendrer « une lame de fond » qui viendrait submerger la direction opiniâtre, inflexible. Et après, qu’adviendrait-il ? Du moins, sur le long terme, une fois dissipée l’euphorie passagère ?

     Ce qui vient d’être décrit peut être simplifié et schématisé par un jeu de forces opposées qui s’affrontent, reposant sur le principe d’action et de réaction cher à la physique classique qui explique si bien le monde dans lequel nous évoluons. Mais il s’agit ici de consciences dont les potentialités surpassent amplement le système des forces. Elles se rejoignent uniquement dans la compréhension du comportement global : contrainte, poussée dans ses retranchements, la direction du navire (résultante des forces A) va réagir, élaborant diverses stratégies pour contrer les passagers (résultante des forces B).
     Il se peut que A doive céder à la pression de B, mais si le système originel se maintient, une autre force du type similaire se rétablira pour garder l’équilibre (restons dans le domaine de la physique avec le principe de conservation de l’énergie).

     On l’aura compris : « le paquebot » c’est un pays, une confédération d’Etats ou un mode de gouvernement ; la direction du navire, l’ensemble des structures impliquées dans le pouvoir décisionnaire économique et politique ; les passagers, la population des pays.

     Dès lors, le changement s’avère-t-il impossible, ou illusoire ?

     Impossible ? Non, l’histoire événementielle en témoigne, il suffit pour cela de se reporter à tous les épisodes insurrectionnels qu’elle comporte.

     Illusoire ? A priori non, d’ailleurs les commentateurs, et plus tard les historiens expliquent et démontrent bien la rupture entre les institutions qui précèdent et suivent les mouvements de révolte. Et pour souligner le fait, la chronologie de l’humanité depuis l’apparition des civilisations confirme l’évolution sociale, elle s’affiche et se mesure désormais selon l’indice de la qualité de vie regroupant différents critères (Environnement, santé, éducation, logement, revenu...).
     Que répondre a cela ? Que la résistance s’organise pour maintenir les privilèges et les différences de classes sociales ; que l’être humain, de par sa nature essentielle (celle qui demeure lorsque toutes les autres caractéristiques pour le qualifier s’effacent) est loin de faire la priorité, si tant est qu’on daigne la considérer.
     
     Il y a donc ce constat d’évidence : les conditions sociales globales de l’humanité progressent, mais tant que subsistera cette fragmentation dans l’intérêt commun, il semble illusoire d’aspirer à un changement radical de la condition humaine.
     Donc, il est fondé de poser la question : quelle forme devrait prendre ce changement pour envisager une transformation radicale des relations humaines ?

     En clair, qui devrait prendre les commandes du paquebot ?
    
     Toujours cette habitude de rechercher des solutions dans les schémas existants, ici cela consiste à trouver la « bonne équipe dirigeante » qui réglera tous les problèmes. Mais peut-on faire du neuf avec du vieux ? Il est permis pour le moins d’en douter lorsque, dans le vieux, l’opposition au changement subsiste.

     Des pistes pour se retrouver dans cet imbroglio, dans ce champ de bataille toujours vivace ? D’abord trouver l’origine de la fragmentation, source des inégalités revendiquées. Il semble bien qu’elle émane de la conscience : on élabore au préalable dans sa conscience avant de vivre cette germination dans des organisations et des structures adaptées : habitat, travail, loisirs...
     Un exemple : on peut être à l’aise dans un studio (logement constitué d’une pièce principale et de commodités : cuisine, sanitaire), ou se trouver à l’étroit dans un château ! En tout cas la cause réside, elle, dans la conscience !...

     Toutes réformes institutionnelles supposeraient un travail préalable sur la conscience, sous peine d’échecs ou de régressions lorsque cette dernière s’agite et se laisse emporter par des pulsions émotionnelles ou des calculs égoïstes, tout ce qui fait l’apanage de la conscience ordinaire.

     La conscience ordinaire, c’est également le temps, aussi conviendrait-il de se dégager de son emprise. Ambitionner de réformer la société crée le plus souvent un attachement aux résultats et à l’implication personnelle. Ces deux éléments sont susceptibles de freiner l’impulsion initiale, voire de se retourner contre le projet : perdre courage et convictions de ne pas voir ses ambitions aboutir, ou se focaliser sur la théorie et vouloir imposer les idées face à l’essentiel : l’humain.

     Le changement de niveau de conscience porte en lui la réforme ultime car il repose sur une base immuable : la conscience naturelle, identique pour tous, s’impose à tout. Lorsque le travail préalable de la connaissance de soi aura rétabli une vision juste de l’existence, effaçant les illusions qui naissent, se développent et surgissent de la conscience ordinaire pour alimenter l’ego, une gouvernance naturelle privilégiant l’attention et la compassion émergera spontanément.

     Rêverie, utopie ? Certes, mais ne sommes-nous pas actuellement aux prises avec un cauchemar qui s’incruste comme une image récurrente ? Vouloir se réveiller pour y échapper constitue la première étape salutaire avant d’adopter un comportement lucide.


     

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