Texte lu
« Bonjour ! »
« …bonjour… »
« Oh !
ça n’a pas l’air d’aller ? »
« On peut le
dire, en effet. »
« Tu as envie
d’en parler ? »
« A quoi
bon… »
On verra bien.
Mais avant cela, acceptes-tu d’évoquer ce qui ne va pas et provoque ce
mal-être ? »
« Si tu as le
temps. »
« J’en
dispose. »
« Et si tu es
capable de supporter ce que je pourrais dire. »
« Actuellement,
c’est toi qui éprouves de grandes difficultés à vivre cet état, parle, cela te
fera du bien. Quant à moi, je suis dans l’écoute. »
« Je ne sais
pas par où commencer ? »
« Par ce qui
est à l’origine de cette détresse. »
« J’ai raté
ma vie… »
« Ah oui,
quand même ! »
« Tu
vois ! »
« Je vois.
Mais encore ? »
« Ce n’est
pas suffisant ? »
« Quels sont
les éléments qui te font penser cela ? »
« Je voulais
fonder une famille heureuse et harmonieuse, avoir une bonne situation pour lui
apporter la sécurité, le confort, le bonheur, voir mes enfants grandir dans cet
environnement épanouissant, et… »
« Et ? »
« Comme tu le
sais maintenant : je suis seul, divorcé depuis de nombreuses années, mes
enfants m’ignorent, je n’ai plus aucun contact avec eux, et ma retraite est
juste suffisante pour satisfaire mes besoins… »
« En effet,
oui. »
« Tu vois,
j’ai vraiment raté ma vie sur toute la ligne. »
« On va
essayer d’éclaircir un peu tout cela. »
« Il va
falloir de sacrés projecteurs ! »
« Ou un peu
de lumière judicieusement appliquée sur les zones d’ombre ! »
« Allons-y.
Après tout, le temps est la seule richesse qui me reste. »
« On part sur
une bonne base. Tout d’abord, qu’est-ce qui te persuade que tu as raté ton
existence ? »
« Bah, c’est
évident ! »
« Mais encore… »
« Tout ce que
j’envisageais de réaliser : les rêves de toute une vie qui se sont
métamorphosés en cauchemars ! »
« D’où
provenaient ces rêves ? »
« De ce que
l’on m’a appris, de l’éducation reçue, du modèle familial de mon enfance et des
améliorations que je souhaitais y apporter une fois en capacité de fonder une
famille. En clair, ce qui est normal. »
« Voici un
mot très intéressant. »
« Lequel ? »
« Normal. »
« Ben oui,
normal, naturel. »
« Normal ou
naturel ? »
« C’est la
même chose ! »
« Vraiment ? »
« C’est ce
qu’on dit. »
« Oublions
les "C'est ce qu'on dit" et revenons sur un point essentiel : la
compréhension. Sans elle, il nous sera difficile de trouver des solutions aux
difficultés exposées. Tu es prêt ? »
« Oui. »
« Que signifie
le terme "normal" ? »
« Qui
correspond à une règle générale. »
« Avant
d’évoquer la notion de règle, quel autre mot y retrouve-t-on ? »
« La
norme. »
« Oui. Et
cette norme, d’où provient-elle ? »
« D’un
modèle. »
« Et ce
modèle, où prend-il sa source ? »
« Dans les
habitudes. »
« Mais
encore ? »
« L’éducation,
la culture… »
« C’est
mieux. Et cela représente quoi ? »
« Heureusement
que nous disposons de temps ! »
« Justement,
profitons-en ! Et donc ? »
« La
transmission d’un savoir. »
« Cela en
fait partie. »
« Je ne vois
plus. »
« Un modèle
sociétal : ce sont les règles, les convenances, les coutumes qu’adoptent
et suivent les personnes vivant au sein de cette société. Et qu’exprime la
norme dans cette structure ? »
« Ce qui est
naturel. »
« On y
revient ! Pas nécessairement. La norme représente ici une mesure
statistique des comportements. C’est l’attitude moyenne la plus suivie pour une
population donnée. L’extrapolation à ce qui est naturel s’avère loin d’être
fondée ! Cela dépend de ce qui établit les normes, essentiellement du
niveau d’éducation et de conscience de la population. »
« Entendu. »
« Donc, ce
que l’on considère comme "normal" n’est pas nécessairement
"naturel", et ne figure pas indubitablement de la meilleure attitude
possible face à un événement. »
« Et comment
apprécier cela ? »
« En
observant les effets du modèle sociétal qui, au gré de la mondialisation,
s’étend de façon galopante à toute l’humanité. »
« De
meilleures conditions de vie par l’accès progressif aux soins et à
l’éducation. »
« Certes,
mais il ne faudrait pas occulter la face sombre. »
« Quelle
est-elle ? »
« L’exploitation
des personnes et des ressources naturelles de certains pays au profit
d’entreprises multinationales ; des conflits armés qui s’éternisent ;
la compétition économique forcenée entre les Nations ; l’accroissement des
inégalités ; la misère endémique de certaines régions ; la
financiarisation qui gouverne le Monde et impose son modèle destructeur ;
l’individualisme et le repli sur soi face aux politiques de régression sociale
des Etats… Tout cela invite sans détour à douter de l’universalité et des
bienfaits de ce modèle, à court et à long terme. »
« Même si
l’on considère l’amélioration globale des conditions de vie, depuis que l’histoire
de l’humanité et les données statistiques existent ? »
« Le bilan
globalement positif, je présume ? »
« Euh…Oui… »
« On peut
effectivement considérer la progression globale de l’humanité au niveau
matériel sécuritaire, y voir un développement et des avancées évidentes,
considérer que des progrès restent à faire, qu’ils sont en cours et que cela
demandera du temps. On peut observer tout cela… »
« Mais… »
« …mais
subsiste cette course folle, impétueuse et rapide aux profits démesurés, que
quelques personnes ont imposée en échafaudant la financiarisation de
l’économie. Et les mêmes, se trouvant à la tête de patrimoines considérables
aux ramifications internationales, dictent leur volonté aux gouvernants par
l’intermédiaire des marchés financiers. Et l’on pourrait développer abondamment
le sujet, mais restons-en là. »
« Oui,
restons-en là. En fait, je suis d’accord, mais cela nous éloigne du sujet.
Fonder une famille et vouloir lui offrir le meilleur, n’est-ce pas œuvrer dans
le sens de la nature et du bien ? Donc de donner un sens véritable à son
existence ? »
« Pour
répondre à cette question, on va distinguer : "la famille", et
"lui apporter le meilleur". »
« C’est un
découpage en règle que tu proposes. Est-ce utile ? Cela semble
évident ! »
« Ceci afin
de mieux distinguer les éléments retenus, de les apprécier plus objectivement,
et enfin de situer l’ensemble en perspective. »
« La famille,
et d’abord la procréation, ça, c’est bien un phénomène naturel ! »
« On ne peut
plus ! »
« Alors ? »
« Ce n’est
pas le fait d’avoir ou non des enfants, de fonder une famille, de choisir de
vivre seul ou en couple qui importe le plus. »
« Je ne
comprends pas… »
« D’abord, la
famille. »
« D’accord. »
« Bien
évidemment, fonder une famille suppose l’union de personnes, et la procréation
(l’adoption n’est qu’une formalité administrative, la procréation est
simplement extérieure à cette union). On va donc considérer cet aspect comme
une contribution de la nature, un fait biologique. »
« Rien à
redire. »
« Quant à la
cellule familiale en elle-même, elle dépend du modèle sociétal qui l’accompagne
plus ou moins selon la politique sociale en vigueur (aides diverses,
restrictions…) »
« Il suffit
de s’informer sur les politiques familiales exercées dans les différents pays
pour s’en convaincre aisément. »
« Maintenant
la notion : "lui apporter le meilleur". »
« Cela coule
de source ! »
« Si l’on ne
précise rien de plus. Mais de quelle source s’agit-il ? »
« Le
meilleur ! »
« Le meilleur
dans un contexte donné, en l’occurrence, celui établi par le modèle
sociétal. »
« Oui. »
« Ca se
précise. »
« C’est-à-dire ? »
« Ce modèle
est largement orienté, tendance "matérialiste" exacerbée, avec comme
objectif "l’affirmation de soi". »
« D’accord,
mais cela n’empêche pas de donner aux enfants une éducation réfléchie, avec les
valeurs que l’on souhaite, de faire de la famille un axe de référence et de
stabilité. »
« Cela
n’empêche pas, mais la famille est incluse dans le modèle sociétal, et pour y
briller, pour en tirer le meilleur (toujours selon les valeurs qu’il promeut)
il faut se soumettre à ses critères. D’ailleurs, je reprends tes propos
initiaux : " Je voulais fonder une famille heureuse et harmonieuse,
avoir une bonne situation pour lui apporter la sécurité, le confort, le bonheur
…". Le " bonheur" n’arrive qu’en troisième position, précédé par
"la sécurité" et "le confort". »
« Oui, une
erreur d’appréciation. »
« Ou le
résultat d’un conditionnement sociétal, qui fait reconnaître et rechercher les
valeurs essentielles prônées par ce modèle. »
« … »
« Il n’y a
rien de narquois dans ce propos. Nous sommes tous intégrés dans ce modèle, et
subissons les pressions qu’il exerce au quotidien. Essayons simplement d’en
comprendre le fonctionnement. Peut-être parviendrons-nous alors à découvrir les
liens subtils par lesquels il nous enchaîne. »
« Entendu. »
« Donc,
l’existence peut se concevoir comme une interaction entre des personnes et un
modèle sociétal, sachant que celui-ci s’est construit au fil du temps
avec : l’assentiment, l’indifférence, l’hostilité, l’acceptation ou la
contrainte du plus grand nombre. »
« La
démocratie pour l’acceptation, et la dictature pour la contrainte. »
« Voilà pour
définir le spectre de la représentation politique. »
« Concentrons-nous
sur le modèle le plus représentatif, celui auxquels aspirent la plupart des
personnes, et qui s’avèrent être le nôtre : la démocratie. »
« Naturellement,
ne serait-ce parce qu’on le pratique de l’intérieur. »
« Logiquement,
un tel système devrait s’adapter au mieux des intérêts de la population. Pour
rappel : Démocratie :
« le gouvernement
du peuple, par le peuple et pour le peuple » (Abraham Lincoln). Mais, de
fait, la réalité est autre. Rappelons la citation de Sieyès (l’un des
théoriciens de la Révolution Française) : « Les citoyens qui se nomment des représentants
renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de
volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne
serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple,
dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), ne
peut parler, ne peut agir que par ses représentants. ». Et depuis plus
de deux siècles, rien n’a changé »
« C’est certain ! »
« Ne nous laissons pas accaparer par le
débat politique (j’ai l’air malin de dire cela après avoir introduit des
éléments qui incitent à l’aborder), on se reprend, et on reste dans le
descriptif pour comprendre. »
« Oui, comprenons. »
« Dans un tel régime, le peuple élit ses
représentants. En retour, les élus doivent mettre en œuvre la politique
attendue par les citoyens (présentation des programmes lors des campagnes
électorales). On distingue trois pouvoirs dévolus à des institutions
étatiques :
-
Législatif : les parlementaires votent
les lois.
-
Exécutif : le chef de l’Etat et le
gouvernement exécutent ces lois.
-
Judiciaire : différentes juridictions
utilisent les lois pour régler les différends. »
« Ça, c’est la théorie. »
« Effectivement. Mais toutes ces institutions
existent bien, et exercent leurs fonctions respectives dans un cadre légal et
réglementaire parfaitement défini. »
« A t’entendre, on croirait que tout va
pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ! »
« Bien sûr que non, et tu le sais
bien ! »
« Alors ? »
« La société est un ensemble de parties
n’ayant pas nécessairement les mêmes intérêts, et certaines d’entre elles
gagnent en puissance. Elles trouvent alors une écoute attentive des pouvoirs
publics. Par ailleurs, la démocratie représentative ne voit la population
s’exprimer qu’à certaines échéances, confiant sa destinée aux autorités élues
entre celles-ci. Enfin, il ne faut pas négliger les médias, devenus maître dans
l’art d’influencer l’opinion, que ce soit pour des actes économiques ou
politiques. »
« Que faire ? La
révolution ? »
« Cela fut fait, par le passé, et
continue, de-ci delà. »
« Et alors ? »
« Tu peux constater par toi-même. Certes,
cela apporte des changements sociaux, mais avec le temps (tiens, on le retrouve
encore celui-là !), la réaction se mobilise, les luttes d’influence
reprennent, et la ronde du pouvoir se réorganise. Prenons l’exemple
français : la Révolution a chassé l’Ancien Régime, la noblesse et ses
privilèges. Les institutions actuelles sont un héritage de cette période. Si la
noblesse de robe a bien disparu (nobles qui occupaient des fonctions
gouvernementales sous l’Ancien Régime), que dire des hauts fonctionnaires,
notamment européens, et des élus
protégés par leur statut ? »
« Donc, je repose la question : "que faire ?" »
« Se
concentrer sur l’essentiel. »
« L’être
humain ? »
« Oui, et
plus encore. »
« ??? »
« Je
comprends ton étonnement ! »
« On le
serait à moins ! »
« C’est
sûr ! »
« Alors ? »
« Avant de
vouloir réformer les institutions, de s’enferrer dans le principe d’action et
de réaction, qui ne gouverne pas seulement les lois de la physique, il convient
de revenir à l’essentiel et se poser la question : "que
sommes-nous ?" »
« Oui, que
sommes-nous ? »
« Tu as bien
une idée. A la base ? »
« Un
corps. »
« Oui, mais
encore ? »
« Une
conscience. »
« Parfait !
Nous allons vraiment pouvoir avancer ! Bien que l’ensemble soit
indissociable, nous allons séparer ces deux entités afin de mieux comprendre le
tout. »
« D’abord le
corps. »
« Très
certainement. Celui-ci nécessite des besoins pour subsister : respirer,
boire, manger, se vêtir et se loger. Sans cela, inutile de poursuivre les
investigations. »
« Les trois
premiers sont vitaux. »
« Sans aucun
doute. Mais cela peut dépendre des circonstances. Ainsi, laissé nu en Arctique,
un être humain mourrait de froid avant de mourir de soif ! »
« Un exemple
extrême, bien sûr. Mais revenons au fait, et considérons l’ensemble des besoins
cités satisfait, juste ce qu’il faut, afin que le corps fonctionne
correctement. Ensuite ? »
« Lorsque les
besoins du corps sont satisfaits, pour le reste, on vit dans sa conscience. »
« Bien. On
évoque maintenant la seconde entité, composante a priori essentielle de l’être,
la conscience. Démonstration de ce principe. »
« Rien ne
vaut un exemple concret pour fixer les idées. On peut être à l’aise dans un
studio (appartement constitué d’une seule pièce principale avec les dépendances
classiques (salle de bains, cuisine, WC) et se trouver à l’étroit dans un château.
Résidant dans un château de 1 000 mètres carrés, on est invité dans une
autre demeure de ce type s’étendant sur 2 000 mètres carrés, et disposant
d’infrastructures de confort et de bien-être supplémentaires. Puis, retournant
dans sa résidence, on peut éprouver un sentiment de frustration. »
« Oui, et
cela ne doit rien à la notion d’espace. Tout procède du ressenti, de la comparaison des perceptions vécues dans les
différents lieux, enregistrées et conservées par la mémoire. L’ensemble se
passe bien dans la conscience. Et à partir de cet exemple, il est possible
de multiplier les expériences dont la résolution n’intéresse que la conscience,
indépendamment de l’espace, du temps et des circonstances. »
« Voilà.
Juste une précision : s’agissant des circonstances, pas comme éléments se
rapportant à l’expérience vécue, mais de leurs perceptions subjectives,
notamment émotionnelles. »
« On tient
donc ici la clé susceptible d’ouvrir la première porte donnant accès à notre
identité véritable : sommes-nous simplement une personne à la recherche du
reflet que nous renvoie le miroir du modèle sociétal, et qui se satisfait de
l’avoir trouvé, ou bien autre chose de plus ancré, de plus profond ? En
abordant ce questionnement par une identification avec la conscience, on met à
jour deux voies essentielles : l’une, libératrice, l’abandon immédiat du
schéma sociétal ; l’autre, magistrale et sans limite, la connaissance de
soi ! Il conviendrait donc, comme on aime à le faire pour un lieu
d’habitation, d’aménager au mieux sa conscience, cela, afin d’y vivre le plus
confortablement possible. »
« Tu as
compris l’essence même de ce propos. »
« Et comment
faire pour organiser au mieux "l’espace" de cette
conscience ? »
« Il y aurait
beaucoup à dire. »
« Fais une
synthèse, afin d’assurer les fondations, d’édifier une base solide. »
« Il est vrai
que cela en vaut la peine. »
« Pour le
moins. »
« D’abord le
cerveau :
En effet, la
conscience subit l’influence du cerveau.
Pour rappel :
Le cerveau est
l’aboutissement d’une évolution. Il contient en lui trois structures apparues à
des époques différentes de l’évolution de la vie.
La partie
reptilienne gérant les fonctions vitales.
La partie
mammalienne, essentiellement consacrée aux émotions.
Le néocortex,
siège de la pensée, de l’intelligence.
On peut ainsi
définir des consciences liées à ces trois parties cérébrales, tout en affirmant
que le cerveau et la conscience sont un.
On définira
donc :
La conscience
instinctive : indépendante de la volonté.
La conscience émotionnelle :
l’une des plus sollicitées dans le modèle sociétal.
La conscience
intellectuelle. »
« Tu as fait
la relation entre la structure évolutive du cerveau et les différents niveaux
de conscience que l’on peut établir et identifier au développement
cérébral. A ce stade, comment utiliser cet acquit ? »
« Pour le
différencier des autres mammifères, classe à laquelle il appartient, on a dit
de l’être humain : "Qu’il était conscient d’être conscient".
Utilisons donc cet énoncé, même s’il y aurait beaucoup à dire. »
« Quoi, par
exemple ? »
« Une piste,
les mammifères marins (Baleines, Orques, dauphins…), et il en est d’autres,
mais ce n’est pas notre propos. »
« Alors
retournons à ce propos ! »
« Avoir la
conscience d’être, de s’observer soi-même, seul ou au travers des relations
sociales, mène au libre arbitre, à l’expression de la volonté et au désir de
changer sa nature. Ce sera le véritable point de départ. Il y a la
perception de l’état de conscience dans lequel on se trouve, et cet état qui
peut nous définir complètement. »
« Tu peux
préciser, j’ai perdu le fil tout d’un coup. »
« Oui.
Désolé, je m’emballe ! L’état qui nous définit complètement, c’est le fait
d’être tellement impliqué dans une situation, une action que l’on perd tout
recul par rapport à celle-ci. Deux circonstances possibles : une
concentration intense dans l’événement ; des actes habituels commandés de
façon inconsciente. Naturellement, la perception dans l’action suppose
l’agissement couplé avec l’observation sereine de ce que l’on fait. Est-ce plus
clair ? »
« Oui. Tu
peux continuer. »
« Cela va
nous permettre de faire un état des lieux, précieux pour agir en conscience, ce
à quoi le questionnement entrepris devait nous amener logiquement. »
« Quelle est
cette implication logique ? »
« Nous sommes
arrivés à la conclusion que nous vivions dans notre conscience. A partir de ce
point, il devient possible d’avancer le développement suivant :
-
Aménager au mieux
cette conscience.
-
La conscience
s’exprime par la pensée.
-
On peut distinguer
deux types de pensées : conscientes et inconscientes.
-
Elles peuvent se
présenter de façon organisée ou parasite.
-
Il faut
donc : privilégier les pensées conscientes ; réduire la production de
pensées parasites.
« Et comment
y parvenir ? »
« Naturellement,
en utilisant une fonction essentielle de la conscience. »
« C’est le
tout en un ! »
« Voilà !
Il suffit de savoir où chercher. »
« Et quelle
est cette fonction ? »
« L’attention. »
« C’est
tout ? »
« Attends de
voir. »
« J’attends. »
« Ça va être
un peu long… »
« J’attends
toujours ! »
« Voici donc
le plan pour tenter de cerner au mieux l’attention et ses effets :
Etre attentif,
c’est élargir le champ de conscience, être dans la simple perception et dans
l’action.
Mais avant
d’évoquer les effets de l’attention, il faut absolument distinguer l’attention
de la concentration :
Si la
concentration s’avère également une condition nécessaire pour s’ancrer dans
l’action, elle n’agrandit pas le champ de conscience, mais le restreint
considérablement.
Voici un exemple
concret pour fixer les idées sur ce sujet :
Un homme marche
dans la rue, l’esprit concentré sur son allure et les alentours. Il remarque
qu’une personne placée face à lui s’avance dans sa direction, mais absorbée
dans la lecture de sa tablette, elle ne le voit pas. L’attitude concentrée
permet d’anticiper l’action : si aucune des deux personnes ne corrige sa
trajectoire, le heurt s’avèrera inévitable.
La personne
concentrée décide donc de se déplacer, non sans formuler des pensées négatives
à l’encontre de ce passant distrait.
Situation
identique, où cette fois l’homme n’est plus concentré, mais attentif. Il se
déplacera également pour éviter le choc, mais sans aucune pensée malfaisante à
l’égard de la personne. Comment cela est-il possible ? Voyons les effets
de l’attention.
Effets de
l’attention :
L’attention place
la conscience ordinaire en retrait. La conscience ordinaire, nommée ainsi car
utilisée au quotidien, comprend les émotions et l’intellect. En l’occurrence,
c’est surtout la partie émotionnelle qui doit être gérée, car elle peut se
manifester à tout moment, sans être sollicitée, et s’impose très
facilement. »
« J’ai une
question. »
« Oui. »
« Si l’on
privilégie l’attention, d’accord pour restreindre la production émotionnelle,
mais si elle limite également l’intellect et la réflexion, quel
intérêt ? »
« Effectivement,
un point important à préciser. Il s’agit de la mise en retrait des pensées
parasites. Si celles-ci sont pour l’essentiel de nature émotionnelle, l’intellect
en produit également. Par exemple, lorsque l’on se complaît à refaire le film
d’événements passés à partir d’une pensée qui se manifeste spontanément au
mental, et dont on tire le fil indéfiniment. C’est en cela que l’attention agit
sur cette partie de la conscience ordinaire. Par ailleurs, en faisant place
nette des pensées parasites qui encombrent l’espace mental, elle facilite au
contraire le travail de la pensée constructrice. Un peu comme dans un paysage,
où l’on passe d’une forêt touffue à une clairière. »
« D’accord,
j’ai compris. »
« Je reviens
aux effets de l’attention :
En limitant
l’activité des émotions, elle agira également sur l’ego, très en lien avec la
conscience émotionnelle. Cela va réduire, voire supprimer l’identification aux situations
conflictuelles, comme se faire insulter, par exemple. Dans ce cas, le problème
surgit lorsque l’on s’identifie à l’insulte proférée, ouvrant la voie à une
réaction en chaîne qui peut facilement dégénérer.
A ne pas négliger
non plus, l’incidence corporelle : lorsque l’attention s’installe au
quotidien, on perçoit plus aisément les tensions musculaires qui parcourent et
affectent le corps. Et l’attention dans la ou les zones concernées permet de
les dissiper rapidement. »
« C’est très bien tout cela. Mais être
attentif, et non pas concentré ne s’acquiert pas spontanément, même si
l’attention est une fonction inhérente de la conscience, comment
l’aborder, et surtout la maintenir aisément ? »
« Très bonne
question, j’y arrive :
Attention et respiration
consciente :
La respiration est
l’une des rares fonctions du corps qui peut être à la fois consciente, ou
inconsciente (le plus souvent). Elle se trouve donc en phase avec les deux
aspects de l’être que recouvre la conscience : partie inconsciente, partie
consciente.
Par ailleurs,
indispensable, elle est accessible à tout moment.
Contrôlée, ses
effets sur le corps et le psychisme sont remarquables : c’est un pont
privilégié pour accéder naturellement à l’attention.
Pratique de la
respiration consciente :
-
Inspirer
consciemment par le nez, de façon fluide et constante, jusqu’à cessation
naturelle du mouvement par insuffisance de la force d’inspiration.
-
Expirer
consciemment par le nez, de façon fluide et constante, jusqu’à cessation
naturelle du mouvement par insuffisance de la force d’expiration.
-
Trois éléments
nous renseignent sur l’efficacité de cet exercice : la respiration est
silencieuse ; le passage d’un mouvement à l’autre - inspiration,
expiration - se fait naturellement, et non provoqué par un besoin
physiologique ; on peut maintenir cette respiration consciente aussi
longtemps qu’on le souhaite, et sans fatigue.
Voilà, ces
quelques éléments devraient permettre :
D’aménager au
mieux l’espace de la conscience, donc « d’y vivre confortablement ».
De
conscientiser :
-
Conscientiser,
c’est mettre en forme dans la conscience afin que les actes qui suivent la
pensée ne provoquent pas de réactions émotionnelles intempestives.
-
C’est
ainsi qu’il faut d’abord changer de niveau de conscience avant d’entreprendre
une recherche personnelle.
-
Lorsque
le changement de niveau de conscience est bien installé, l’être agit
spontanément dans la compréhension de façon naturelle : il se produit une
sorte de saut de conscience entre la pensée et l’acte.
De vivre dans le
modèle sociétal, mais de ne plus être du modèle sociétal.
« Merci. Cela
fait beaucoup de choses à assimiler. Mais je vais m’y mettre
progressivement. »
« Ah, j’oubliais. Maintenant que l’on
dispose des outils pour vivre en conscience, voyons ce qu’il en est lorsque
l’on est confronté au modèle sociétal. Cette thématique pourrait
s’appeler : "La descente
de la conscience, ou les trois niveaux d’appréciation" :
-
Premier niveau :
conscience.
-
Deuxième
niveau : l’expérience de conscience.
-
Troisième
niveau : l’objet de l’expérience.
Voici un exemple
pour bien appréhender cette notion :
On peut être très
attaché aux possessions matérielles, la conscience permet cela (premier
niveau), puis on réalise l’expérience de l’attachement (deuxième niveau), enfin
les possessions elles-mêmes constituent l’objet de l’attachement (troisième
niveau).
La règle et
l’opération : pour apprendre à faire des additions, il est besoin de
connaître les nombres et les règles de calcul appropriées. Une fois cela
acquit, on pourra additionner indifféremment n’importe quels nombres, quelle
que soit leur grandeur.
Dans un modèle
sociétal qui accorde une importance prédominante aux possessions, l’opération
prévaut le plus souvent sur la règle : opérer sur quelques euros ou plusieurs
millions peut modifier facilement les "règles mentales". Mais la
puissance de l’attachement peut stimuler la conscience émotionnelle à
l’identique pour des opérations exécutées sur des montants très inégaux.
Le modèle sociétal
dans lequel nous baignons est puissant, les vagues qu’il engendre nous
submergent facilement, et le troisième niveau, à lui seul, éclipse aisément les
deux autres : obnubilé et fasciné par l’objet, nous oublions ce qui
conditionne ce comportement, et ignorons totalement le fait premier, la
conscience, tellement éloignée de nos préoccupations présentes (comme quoi,
l’instant présent, des fois…).
Il y a encore
beaucoup de chemin à parcourir pour revenir à l’essentiel, sauf si l’on est
attentif, alors le chemin se résorbe pour n’être plus qu’un point ! »
« Pendant que
tu expliquais, plusieurs questions me sont venues à l’esprit. »
« Alors,
n’hésite pas, pose-les ! »
« Que
penses-tu de l’argent ? »
« Vaste
sujet ! La monnaie s’impose dans toutes les strates de la société. Normal,
celle-ci repose sur le matérialisme et l’économie en organise les différents
rouages afin de permettre les échanges. »
« A priori
rien de pernicieux, bien au contraire, cela favorise et facilite les
échanges. »
« Dans une
société qui respecte et privilégie l’humain, ta remarque s’inscrirait
parfaitement. »
« Et ce n’est
pas le cas ? »
« C’est une
boutade ? »
« Une figure
de style pour relancer l’argumentaire. »
« Pas
mieux ! A la base,
la société est matérialiste et marchande, tout s’achète et tout se vend, il est
donc primordial de posséder de la monnaie pour subsister. Il y a donc d’abord
la nécessité de se procurer de l’argent. Pour cela, il y a le travail. »
« Alors,
d’où vient le problème ? »
« Plusieurs
pistes : la société dans laquelle nous évoluons est à risques multiples
(perte d’emploi, maladie, accident, risques naturels, agression…), de là une
aspiration naturelle de se protéger, de se sentir en sécurité, et l’argent,
c’est un moyen de se sécuriser ; c’est également une société du désir, si "la meilleure façon de marcher, c’est
encore la nôtre",
la meilleure façon d’acheter, c’est toujours la leur, ceux qui récoltent et
amassent les bénéfices de cet acte économique, œuvrant pour le rendre compulsif
(publicité, neuromarketing), soit quand il prend directement sa source dans la
conscience émotionnelle ; enfin, l’argent, c’est le pouvoir, la capacité
de se hisser en haut de la pyramide, de régner sur la multitude. »
« En
effet. »
« Les
conséquences : quelle que soit notre position sur l’échelle sociale, de la
base au sommet de la pyramide, l’argent nous concerne ; il est donc très
difficile de s’en départir, et les liens entre argent et conscience sont très
puissants. Que se passe-t-il alors ? L’identification entre conscience et
argent est telle que cela peut créer une personnalité dépendante des mouvements
de fonds enregistrés sur les différents comptes (banque, épargne…). Ainsi, une
perte d’argent aura un impact psychique, sera vécue comme un véritable
déchirement de l’être, même si l’on dispose d’un patrimoine susceptible
d’assurer plusieurs existences. On voit ici le travail accompli de la
conscience émotionnelle. »
« Comment
changer son rapport à l’argent ? »
« L’argent
est nécessaire dans le modèle sociétal actuel, ne serait-ce que pour subvenir
aux besoins fondamentaux, ceux du corps. Au-delà, on revient sur ce qui a déjà
été dit. C’est peut-être radical comme propos, mais cela rappelle la dualité
entre modèle sociétal et conscience. Donc, en privilégiant la conscience,
l’être au détriment de l’avoir, il n’y aura plus de dépendance avec l’argent. »
« Pourrais-tu
donner un exemple significatif d’opposition entre le modèle sociétal
matérialiste et un modèle qui reposerait sur la conscience ? »
« Le
droit de propriété. »
« Tu
peux détailler. »
« Dans
une démocratie, il existe une hiérarchie des lois et des autorités chargées
d’appliquer le droit. Le premier échelon législatif émane des articles de la
Constitution. C’est ainsi que le droit de propriété est considéré comme un
droit naturel, inscrit dans son préambule et garanti par la Constitution
française. Il est également protégé par le premier article du protocole
additionnel de la Convention européenne des droits de l’Homme. Si l’on s’en
tient là, cela semble une bonne chose. »
« Je
confirme. »
« Considérons
les biens immobiliers, qui sont inclus dans ce droit de propriété. Se loger est
une nécessité, mais l’accès à un logement s’avère de plus en plus difficile,
pas seulement comme propriétaire, les locataires restent souvent démunis devant
les effets de la spéculation immobilière et les exigences des bailleurs. Dès
lors, que pèse une conscience, face au système
politico-économico-juridique ? »
« C’est-à-dire ? »
« Dans
l’ordre : les politiques inscrivent le droit de propriété en bonne place
parmi les actes protégés ; l’économie encourage et facilite la compétition
et la spéculation sur la finance, les biens et les emplois ; les instances
juridiques, aidées par les forces de police, font respecter la loi, comme le
fait de déloger des personnes sans-abri qui occupent des locaux
inoccupés. »
« Serais-tu
un adepte des théories de Proudhon (Économiste et philosophe français :
1809-1865) qui affirmait que : "La
propriété, c’est le vol" ? »
« Non, et à
quelque théoricien que ce soit en matière de politique, d’économie, de société,
de philosophie, de religion ou de spiritualité. »
« C’est
dit ! Et tant qu’à faire, autant ratisser large ! »
« Comme tu me
l’as demandé, j’ai montré un exemple où il y avait incompatibilité entre notre
modèle sociétal et l’être humain en tant que conscience. Sur ce fondement,
toutes les consciences sont identiques et méritent la même compréhension, les
mêmes égards. C’est le système sociétal qui les différencie, les évaluant à
l’aune des valeurs qu’il érige. En outre, il ne peut y avoir d’incitation à la
révolte lorsqu’il s’agit de conscience : affirmer la primauté de cette
dernière, en comprendre les mécanismes, effectuer un travail de changement de
niveau de conscience, cela se décide seul et se pratique seul. C’est
clair ? »
« Très
clair. Une question sur l’ego, que l’on accable de tous les maux. Il fut
pourtant, et continue d’être un moteur
formidable de progrès (inventions, entreprises…) »
« L’ego a surtout permis à l’économie
d’être le centre de la mondialisation, tout s’y rattache. Créant le principe de
l’actionnariat pour stimuler les entrepreneurs, faire croître l’outil de
travail, elle s’acharne désormais à détruire ce principe par la
financiarisation à outrance, la spéculation sur des produits complètement
déconnectés de l’économie réelle, mais l’impactant de plein fouet avec des
conséquences désastreuses pour les acteurs historiques : entrepreneuriat,
salariat. Une autre société est possible, basée sur le respect mutuel, le
partage, la compréhension et la compassion. Simplement, elle est toujours en
devenir. Vivre selon ces principes est possible. Pour cela, il faut d’abord
changer soi-même, placer la conscience émotionnelle en retrait. Alors on
devient naturellement la goutte d’eau d’un futur océan que l’on ne verra
jamais ! »
« Donc,
vouloir le meilleur pour sa famille, c’est mal ? »
« Le
meilleur, comme tu l’exprimais, c’est : "Avoir une bonne situation pour lui apporter la sécurité, le
confort, le bonheur ". Ce n’est pas mal en soi, bien évidemment. Mais cela
réplique les valeurs du modèle sociétal, l’entretient et le pérennise. Ce
modèle dont on connaît les excès. »
« Alors tu
suggérerais, par ailleurs, d’instruire les enfants sur le rôle essentiel de la
conscience ? »
« Oui, ce que
l’on a évoqué ensemble sur ce point. Et lorsqu’ils en auront la compréhension,
ils choisiront leur voie. »
« Que peut-on
faire d’autre ? »
« Vivre ce
que l’on enseigne. »
« Ah oui,
bien sûr ! Et si le thème de la discussion avait été : "J’ai réussi ma vie !" »
« Allons directement à
l’essentiel : est-ce qu’une conscience peut être fière d’une
conscience ? »
« Oui :
d’elle-même, ou d’une autre personne. Par exemple, être fier de ses enfants, de
leur façon de se comporter, de leur réussite. »
« La
fierté renvoie à la conscience émotionnelle, sa stimulation, son
renforcement. Et puis, le comportement n’est pas systématiquement lié à
l’éducation reçue, tous les cas sont possibles : bonne éducation > bon
ou mauvais comportement ; mauvaise éducation > mauvais ou bon comportement.
Donc, cela ne change rien sur le fond. Mettre la conscience au premier plan
reste la base, après, le reste est affaire de gestion des émotions. »
« Oui, mais
pour moi, au vu de ma situation, c’est terminé. Je ne puis que regretter
de n’avoir pas agi correctement, les choses auraient été différentes. »
« Il n’existe
aucune force dans l’Univers qui peut faire que ce qui fut ne l’a jamais
été, cela c’est pour le passé. Mais je peux changer à tout moment, ça
c’est pour le présent. Tu peux donc décider, par le libre arbitre et la
volonté, de vivre dorénavant en conscience, de conscientiser. »
« Mais cela
ne changera en rien au fait que mes enfants m’ignorent. »
« Modifie ta
façon d’être. Si les aléas de l’existence te remettaient en contact avec eux,
ou si tu agissais en conséquence pour que cela advienne, tu verras bien ce qui
se passera. Vivre en conscience te permettra de leur tendre la main, et
d’accepter qu’ils refusent ce geste. Peut-être ne sont-ils pas prêts, mais
peut-être aussi que ce changement de conscience qui t’habite aura déposé en eux
un germe qui le moment venu s’épanouira. »
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