Texte lu
La conscience ordinaire qui œuvre au quotidien, et s’appuie
sur les émotions et l’intellect, s’élabore à partir de constructions
mentales : qu’il
s’agisse des tâches répétitives auxquelles on doit satisfaire, des croyances,
des certitudes, des choix en amitié… Ces édifices mentaux s’articulent et se
relient entre eux par le biais de la mémoire, c’est l’un des fondements du
problème.
Deux
entités participent à la réalisation de ces constructions mentales : le
maître d’ouvrage (celle qui décide des constructions mentales à édifier) et le
maître d’œuvre (celle qui participe à leur construction et leur entretien).
Naturellement, ces deux entités n’en font qu’une : la personnalité
égoïque, disons l’ego pour simplifier.
On
va s’intéresser ici à l’une de ces constructions mentales : l’amitié. Vaste
sujet ! En effet, pris dans le tourbillon, souvent malsain, du modèle
sociétal dans lequel nous sommes plongés, quel réconfort, quel havre de paix
peut nous apporter la fréquentation des amis !
Comment se construit une amitié ? Voici un schéma à la
fois possible et commun : fréquentation de personnes, découverte d’affinités,
plaisir de les partager, renforcement des liens au cours du temps.
On
suppose cela bien compris. Tentons une analogie avec ce qui va suivre.
Au début, il y a ce terrain en friche, puis égalisé
pour accueillir les prémisses d’un chantier de construction. Enfin le bâtiment
apparaît dans son intégrité, puis il subit les affres de la dégradation, avant
d’être détruit. Cette construction possède une apparence que l’on apprécie,
mais l’on aime plus encore s’y retrouver à l’intérieur et partager des moments d’échange et de complicité.
Par ailleurs, rien ne saurait troubler la communion
qui règne à l’intérieur, aussi, à la moindre disharmonie, un trouble envahit le
mental, c’est comme une lézarde qui s’agrandirait démesurément à la surface de
ce bel édifice : on ne voit plus qu’elle !
Alors, plus question de partager des moments
agréables dans ce milieu naguère exquis. Ce que la conscience a construit, la
conscience le détruit !
Ce scénario de l’amitié, tel qu’il prend forme dans
la conscience ordinaire, peut-il se manifester lorsque l’attention modifie le
niveau de conscience ? Abordons maintenant la thématique de l’amitié et de
l’attention en posant la question : « Est-il possible de développer
des relations amicales lorsque l’on place l’attention au cœur de
l’être ? »
Oui, mais avec une perception et des conséquences
bien différentes.
Pour fixer les idées, considérons les relations entre
une personne faisant de l’attention son centre d’action, et d’autres personnes.
Des relations prennent forme, certaines s’inscrivent
dans le temps.
Elles se différencient par la quantité d’informations
collectées au cours du temps, et la décision de maintenir ou non la relation.
Parmi ces informations, certaines peuvent ne pas
s’inscrire dans le cercle de partage, mais cela n’affectera pas la personne
attentive, dans la mesure où il n’y a pas péril en la demeure (et cela serait
détecté immédiatement par l’attention). L’amitié vécue dans l’attention n’impose
pas de choix devant satisfaire les deux parties, s’il y a désaccord, on
n’évoque pas le sujet, respectant la liberté de chacun.
Avec l’attention, la conscience ordinaire étant
placée en retrait pour la manifestation des pensées parasites, il ne saurait y
avoir d’ossature rigide imposée à la construction mentale que l’on nomme
amitié.
- Une question.
- Oui.
- Mais la personne en quête
d’amitié pourra dire : « J’ai besoin de cette présence, cela me
renforce. Et s’il m’arrivait un problème, cela est réconfortant de pouvoir
compter sur cette amitié ! »
- Cela ne reflète qu’une
chose, l’attachement que manifeste l’ego. On revêt ce comportement de vêtements
d’apparats, comme l’amitié, pour qu’il soit plus présentable.
- Et comment agirait une
personne attentive ?
- Placée face à une
demande, elle interviendra naturellement, dans la mesure de ses moyens, sans
calcul, sans que son geste ne soit guidé par des décennies d’amitié.
- Une autre question.
- Oui.
- Tu laisses entendre que
notre existence ne serait qu’une accumulation de constructions mentales,
utilisant la mémoire comme « ciment ».
- Je confirme.
- Et tu conclues en
affirmant que la mémoire est le problème essentiel.
- Oui, j’ai raccourci
l’énoncé au risque d’y introduire la confusion.
- Je suis confus effectivement !
- Alors, essayons de lever
cette confusion.
- J’en serais ravi !
- C’est de la mémoire
subjective dont il s’agit, celle qui s’applique à pigmenter les événements de
colorations émotionnelles. Une personne attentive n’en ressent pas les effets.
- Mais la mémoire est
nécessaire dans l’existence sinon, comment effectuer, même les tâches les plus
banales du quotidien ? Comment pratique une personne attentive, comme tu
le dis, si elle n’en ressent pas les effets ?
- Bien sûr que la mémoire
est nécessaire dans notre existence. Une personne attentive possède cette
mémoire indispensable. Mais je parle des effets de la mémoire lorsque celle-ci
s’abreuve au réservoir émotionnel.
- Ce n’est pas bien d’avoir
des émotions ?
- On confond les émotions
avec la sensibilité.
- C’est-à-dire ?
- Les émotions produisent
une forme d’excitation qui peut amener l’accoutumance, même pour les émotions
négatives (certaines personnes se complaisent dans le mal-être). Pour les
émotions positives, cette réaction exaltante devient un code du bien-vivre
ensemble, en être dépourvu devient suspect. La sensibilité est une réponse
émanant du partage, elle reflète la sympathie, aucune excitation ne l’affecte.
- D’accord.
- Encore des
questions ?
- Non, ça ira.
N'hésite pas sinon.
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